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Trois questions à Bernard Fontana, Président-Directeur général, EDF

Quelle dynamique d’électrification des différents usages constatez-vous ?

La projection à 2050 des actions à réaliser pour atteindre les objectifs de neutralité carbone est sans équivoque : 60 % de l’énergie finale devra provenir de sources électriques bas carbone. Cela implique une électrification massive des usages encore dépendants des énergies fossiles, notamment dans les transports, le bâtiment et l’industrie. La France connaît un certain retard pour atteindre cet objectif, avec une consommation d’électricité qui connaît actuellement une stagnation[1].

EDF est toutefois le témoin d’une dynamique réelle au niveau des entreprises, puisque nous avons signé 22 TWh de contrats industriels à moyen terme pour la fourniture d’électricité décarbonée jusqu’en 2028 avec des acteurs électro-intensifs pour des usines ou des centres de données, ainsi que deux contrats fermes de long terme. Ceci est permis par la transformation de notre politique commerciale, qui repose notamment sur le développement de contrats d’allocation de production nucléaire et permettra à nos clients de réduire significativement l’empreinte carbone de leur activité tout en maintenant la compétitivité de leurs sites.

Nous accompagnons également l’électrification des usages dans la mobilité ainsi que dans le bâtiment avec les pompes à chaleur, avec par­fois des enjeux d’acculturation forts à résoudre auprès du grand public, par exemple pour l’adoption de la recharge bidirectionnelle des véhicules.

Pour que l’électrification soit efficiente et compétitive, EDF assume pleinement sa responsabilité industrielle : fournir une énergie disponible, compétitive et bas carbone. C’est l’objet de nos programmes qualité et de réduction des délais de mise à disposition (lead time), qui visent à sécuriser l’approvisionnement énergétique tout en facilitant l’évolution des usages vers des solutions électriques bas carbone.

Quelles sont les perspectives de production d’électricité décarbonée en Europe et comment EDF s’y inscrit-elle ?

L’électricité produite par EDF en France métro­politaine a une intensité carbone de seulement 3 gCO2/kWh au premier semestre 2025, ce qui donne une base solide pour réduire les émissions en électrifiant les usages. Cela bénéficie également aux autres pays européens grâce à l’interconnexion du réseau, qui nous permet d’exporter jusqu’à 100 TWh d’électricité par an.

Sur le nucléaire, un changement de ton a été opéré en Europe, porté par l’alliance euro­péenne pour le nucléaire – au sein de laquelle la France est particulièrement motrice – et qui se traduit déjà par de nouveaux projets validés. EDF y trouve sa place tant sur les petits réac­teurs modulaires (SMR) que sur les centrales de grande taille, à la fois en tant que développeur de projets de réacteurs complets et à travers ses filiales – telles Framatome ou Arabelle Solutions – sur la fourniture de briques technologiques ; le défi reste de pérenniser des designs sur étagère capables de rassurer les clients. Le groupe travaille également à renforcer sa compétitivité à travers l’augmentation de la durée de vie de ses centrales et de leur puissance, et la réduction des arrêts.

Concernant l’hydroélectricité, la fin du contentieux avec la Commission européenne va permettre de nouveaux investissements, par exemple pour l’agrandissement vertical de barrages ou encore la création de nouvelles Stations de Transfert d’Énergie par Pompage (STEP), qui amélioreront le pilotage fin du réseau. De tels investissements permettront au groupe d’assumer la fourniture de 150 TWh supplémentaires d’électricité à l’horizon 2035.

Ces engagements de capitaux par EDF remettent en mouvement des filières, avec des compétences françaises sources de souveraineté, générant de la valeur à l’export ainsi que des dizaines de milliers d’emplois dans nos territoires. Ces investissements s’accompagnent d’un soutien à la formation et à l’attractivité des emplois avec des initiatives telles que Forindustrie ou encore la création d’une école de soudage.

Au-delà du développement de nouvelles capacités, il s’agit également de préserver les actifs existants. Pour cela, EDF a lancé son programme ADAPT dans le nucléaire, et a dédié 818 M€ pour adapter ses différents moyens de production et de distribution au changement climatique en 2024.

Comment la biodiversité est-elle intégrée dans cette stratégie de développement ?

Les besoins d’eau pour le refroidissement sont gérés dans le respect des températures de rejet qui respectent les écosystèmes en aval. Les dérogations estivales sont exceptionnelles, nous ajustons plutôt la production. Pour ses projets d’énergie renouvelable, EDF s’appuie régulièrement sur les acteurs territoriaux pour identifier des terrains déjà transformés à utiliser sans nouvelle artificialisation.

Dans la conduite de ses activités hydroélectriques, le groupe adopte également une posture d’acteur engagé quant à la gestion et au partage de la ressource en eau entre ses différents usagers, qu’il s’agisse des populations, de l’agriculture, des entreprises ou de la biodiversité localisée aussi bien en amont qu’en aval des ouvrages. Cette posture de responsabilité représente, pour les équipes concernées, une composante de grande valeur de leur travail.

[1] La consommation totale d’énergie étant en baisse depuis 2021, la part de l’électricité dans la consommation continue toutefois à augmenter (NdlR).

Source : La Lettre d’EpE n° 78 – Octobre 2025

Question ouverte – Comment l’innovation peut-elle accélérer la transition écologique ?

Depuis la Révolution industrielle, les nombreuses innovations technologiques ont rythmé l’évolution de nos sociétés et celle de nos modes de vie et de consommation. Devenus mythes, l’innovation et le progrès technologique se trouvent pourtant de plus en plus critiqués pour leur rôle dans l’émergence des grandes crises environnementales.

De même que les stratégies d’entreprises, l’innovation et la R&D se retrouvent ainsi questionnées par les défis simultanés auxquels les entreprises doivent faire face : dépassement des limites planétaires, turbulences géopolitiques et regain des enjeux de souveraineté, course à la compétitivité notamment dans les filières d’avenir de la décarbonation, transformation des modes de production et de consommation vers plus de durabilité.

Cependant, face à l’ampleur des transformations sociétales et technologiques nécessaires pour réussir la transition écologique, l’innovation demeure indispensable pour contribuer aux enjeux de compétitivité, de souveraineté et de résilience, appelant alors à repenser les objectifs et modalités de l’innovation de manière plus responsable et pérenne.

Pour réaliser cette transformation et surtout pour en faire une opportunité, trois voies apparaissent :

  • intégration des enjeux environnementaux (climat, eau, biodiversité…) dans la culture des métiers de l’innovation et de la R&D : formations, sensibilisation, incitations managériales, organisation des équipes… ;
  • conception et mise en place d’outils et processus de mesure (ex. : analyse cycle de vie ou ACV) et de pilotage environnemental de l’innovation pour réduire l’empreinte écologique des portefeuilles d’offres et de services, ainsi que pour prévenir les effets rebonds ;
  • création des conditions d’émergence de l’innovation durable : investissements humains et financiers, partenariats industriels, élaboration de standards, évolutions des cadres réglementaires incitatifs…

Dans certains cas, ces démarches amènent à considérer des modèles de rupture avec les approches traditionnelles de l’innovation : optimisation technologique incrémentale, réduction des coûts et maximisation de la rentabilité. En effet, si l’ACV joue un rôle central en objectivant les impacts et en identifiant les leviers de réduction, elle perd en pertinence lorsqu’il s’agit d’évaluer des innovations difficilement comparables à des solutions existantes.

Au-delà de la conception et du pilotage de l’innovation, un autre défi majeur demeure celui de l’industrialisation des solutions et de leur diffusion auprès des clients où ils auront un impact. Le déploiement massif de solutions vertueuses dépend de nombreux facteurs propres ou externes à l’entreprise. En 2023, l’Académie des technologies constatait que « d’ici 2030, ni les innovations technologiques ni les énergies décarbonées ne pourront être déployées à une vitesse suffisante pour atteindre les objectifs climat de l’Europe ». Elle en conclut qu’il faut également promouvoir et installer des formes de sobriété, au moins à court terme.

Ceci, comme différents autres travaux, pose aussi la question de l’exploration d’autres types d’innovation : comportementale, sociale, de modèle d’affaires, d’organisation, de production… Quels nouveaux modèles économiques concevoir ? Comment adapter les organisations ? Quelles nouvelles collaborations créer ? Quelles compétences développer ? Comment assurer une évolution conjointe avec les attentes sociétales et pratiques ?

Dans une prochaine publication sur le pilotage environnemental de l’innovation, les entreprises membres d’EpE apporteront des réponses concrètes sur la façon dont le pilotage de l’innovation peut accélérer la transition écologique.

Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé-Environnement, Eau, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique

Source : La Lettre d’EpE n° 78 – Octobre 2025

Entreprises et environnement : 2025 et au-delà

Face au défi de la transition écologique, l’entreprise a un rôle clé. Parmi les solutions qu’elle développe, la sobriété est un levier de transformation de sa stratégie et de celle de la société, qu’elle commence à exploiter. Où en sommes-nous aujourd’hui en 2025 ? Quelles sont les politiques mises en œuvre et comment ont-elles porté leurs fruits dans les entreprises ?

 

Bilan 2022-2025 par Patrick Pouyanné, ex-Président d’EpE et Président-Directeur général de TotalEnergies

EpE a un rôle d’aiguillon et d’éclaireur pour les grandes entreprises françaises. Le thème de la sobriété est, avec la circularité, celui qui a marqué l’étude ETE 2030 ; il a fait l’objet d’un travail important mené ces trois dernières années, en générant échanges entre entreprises et parties prenantes sur la question « Que doit-on faire dans les prochaines années pour se mettre dans la démarche de neutralité carbone ? »

Au-delà, les 20 publications réalisées au cours des trois dernières années reflètent un travail intense qui a réuni plus de 1 500 collaborateurs de toutes les entreprises membres de l’association, et symbolisent la présidence de ces trois dernières années : faire en sorte que le développement durable ne soit pas seulement l’apanage des directeurs développement durable, mais s’inscrive dans la culture des entreprises et irrigue l’ensemble des métiers. Le lancement des comités-métiers a permis de mobiliser les différentes fonctions, étape indispensable à la démarche de neutralité carbone et de transition écologique qui est l’ambition collective.

La marque de fabrique d’EpE est de mettre en œuvre l’intelligence collective. Les membres partagent leurs expériences très concrètement et essaient de définir des ambitions et des axes de travail pour des avancées collectives, tout comme la création de coalitions sur des thèmes divers tels que la transition alimentaire dans les restaurants d’entreprises, la gestion de l’eau ou la mobilité douce. Le courage collectif est un moyen d’entraînement, porté par les CEO du Bureau dont Estelle Brachlianoff, Benoît Bazin et Catherine MacGregor, ainsi que par les membres, à travers l’association, elle-même reconnue par les pouvoirs publics puisque la Déléguée générale siège désormais au CESE.

L’urgence est scientifiquement démontrée sur les limites planétaires. Le véritable enjeu pour tous est de trouver le chemin et de garder le cap, comme affirmé dans la tribune collective signée de plus de 40 patrons de grandes entreprises françaises. Garder le cap sans renoncer, trouver les moyens pragmatiques d’avancer et faire que ce qui apparaît aujourd’hui comme une contrainte devienne une force. Les plus fiers et les plus engagés, ce sont les collaborateurs qui portent les entreprises dans cette démarche.

« Sur un plan personnel, je pense que je ne ressors pas exactement le même que ce que j’étais avant […] et mon entreprise non plus. Parce que bien évidemment, lorsque le PDG de TotalEnergies s’intéresse à l’environnement et prend la présidence d’EpE, ça a un effet d’entraînement dans l’entreprise. »

 

Feuille de route 2025-2028 par Estelle Brachlianoff, Directrice générale de Veolia et Présidente d’EpE

EpE est devenue un acteur de référence de la transition écologique avec une vision pragmatique, qui parle de solutions, d’actions et de concret, notamment avec ETE 2030. Le moment est charnière pour ces sujets de forte préoccupation actuelle. La tribune de dirigeants du 5 juin dit qu’il y a le choix entre renoncer ou réconcilier écologie et économie. Le sujet intéresse désormais les citoyens qui le vivent dans leur quotidien : inondations, grandes sécheresses, prix… On a changé d’échelle, les menaces sont concrètes et immédiates.

L’Europe a encore un peu d’avance sur certains sujets, pas sur d’autres, contrairement à la Chine où la transition écologique et les chantiers technologiques associés représentent 40 % de la croissance du PIB. Nombre d’entreprises européennes sont championnes dans leur métier avec un cadre réglementaire plutôt stable. La comparaison avec la Chine montre qu’il y a des opportunités à saisir. Innovations, technologies et brevets produisent déjà des résultats. En France, en dix ans, les émissions ont été réduites de 17 %, et la croissance a augmenté de 9 %. Ce qui prouve que, plutôt que ralentir ou abandonner, il faudrait accélérer sur un certain nombre de sujets. Les événements géopolitiques ont permis de redécouvrir les avantages concurrentiels de la transition.

Le sujet essentiel est de travailler à rendre accessible le pouvoir d’achat écologique des classes moyennes dans tous les secteurs de l’industrie. Pour EpE, cela signifie l’environnement pris dans son acception la plus large, donc, évidemment, atténuation carbone, économie circulaire, lien avec les territoires, et aussi adaptation, et enfin eau, sujet qui sera traité en plus des commissions existantes, car transverse à toutes les industries et qui rejoint le sujet de l’agriculture, des populations et des territoires. Les travaux d’EpE permettent d’avoir une vision holistique de la transition écologique.

La mesure de l’impact positif contribuera à cette dynamique collective. Les interactions et débats entre EpE, le secteur privé, les autres grandes entreprises et les parties prenantes, que ce soient les ONG, les associations, les institutions européennes ou la société civile permettront d’aller plus loin, de transformer ce qui est en partie une contrainte en, potentiellement, un facteur de compétitivité et de souveraineté.

L’ambition pour ces trois prochaines années est de faire d’EpE l’avant-garde d’une transformation qui réconcilie écologie et économie, qui est dans l’action et dans l’accélération.

« J’ai une ambition qui est, avec les entreprises qui constituent EpE, de montrer et de faire savoir que les entreprises sont ou peuvent être acteurs de solutions, notamment par ce qu’elles apportent en matière d’innovation, d’efficacité, de mise en œuvre et de déploiement. »

Source : La Lettre d’EpE n° 77 – juillet 2025

Question ouverte – Eau et entreprises, le défi de la sobriété ?

« Une demande en eau doublée à l’horizon 2050, dans un contexte de perturbations climatiques toujours plus intenses », c’est ce qu’anticipe le scénario « tendanciel » de France Stratégie, imaginé dans le cadre d’un travail prospectif paru en janvier 2025. Si l’été 2022, où 97 % du territoire métropolitain fut concerné par des mesures de restriction, a été un véritable électrochoc, les transformations à mener pour assurer une gestion durable et résiliente de la ressource en eau restent majeures et soulèvent de nouveaux défis pour les acteurs économiques. Le CDP Water Report de 2023 estime en effet à 77 milliards de dollars les répercussions possibles de la crise de l’eau dans les chaînes d’approvisionnement.

Trois éléments contribuent à accroître cette pression sur les ressources en eau :

  • les pollutions chimiques et biologiques, directes ou indirectes, qui en dégradant la qualité de l’eau diminuent la quantité disponible pour des usages sensibles (alimentation, irrigation) ;
  • les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau : évaporation, variabilité et violence des épisodes météorologiques, salinisation, fonte des glaces, pollution accrue suite aux événements extrêmes… Une diminution de 30 à 40 % de l’eau douce disponible est estimée d’ici à 2050 ;
  • les conflits d’usage entre les consommations croissantes des activités humaines et les besoins des écosystèmes.

Des risques physiques causés par un excès ou un manque d’eau (inondations, pénuries) découlent de ces nouveaux cycles de l’eau. Les impacts sur l’activité des entreprises se matérialisent de manière tangible, et peuvent aller jusqu’à l’arrêt complet des opérations. La nature épisodique de ces risques ainsi que le faible prix de l’eau ralentissent la prise de conscience de ces risques et donc la mobilisation face à ce nouveau défi.

La France s’est dotée depuis 60 ans de comités de bassin et d’agences de l’eau pour créer, au niveau local, les lieux de concertation et les outils financiers de déploiement des politiques européenne et nationale de l’eau.

Mettre en place une gestion durable et résiliente de la ressource en eau implique des changements de modèles économiques, pour favoriser l’économie d’eau et sa réutilisation, pour améliorer la qualité des cours d’eau et la gestion des nappes, dont nombre ne sont pas de bonne qualité. De nouvelles directions de travail apparaissent : utiliser des solutions fondées sur la nature (haies, couvert végétal, restauration de zones humides, reméandrement pour ralentir les débits, infiltrer et retenir l’eau dans les nappes plutôt que l’évacuer au plus tôt…), privilégier des activités ou procédés économes en eau, trouver de nouveaux modèles de rémunération…

Pour les entreprises, les stratégies mises en place font apparaître trois domaines d’actions principaux :

  • la diminution des vulnérabilités – avec une approche basée sur l’évaluation des risques et la diminution des Industriels et financiers cartographient les risques parmi leurs sites, chaînes d’approvisionnement ou portefeuilles d’investissements. Selon le CDP, 90 % de l’empreinte eau se situe ainsi en amont des chaînes de valeur ; l’engagement des fournisseurs est donc essentiel ;
  • le pilotage et l’intégration dans les prises de décision – la mesure soulève encore de nombreuses interrogations : prélèvement versus consommation, nouvelles pollutions, sélection des zones géographiques à risque… Le financement des investissements peut s’adosser à des outils comme le prix virtuel de l’eau ou les prêts à impact ;
  • le triptyque partage, coopération et gouvernance – la multiplicité des usages rend essentiels la coopération et le dialogue entre usagers pour organiser collectivement l’utilisation de la ressource : participation aux instances de gouvernance, gestion concertée des retenues d’eau (irrigation, boisson, hydroélectricité, continuité écologique, loisirs…), réutilisation de l’eau entre industriels pour réduire la Les approches collectives sont de plus en plus mobilisées : plus de 600 acteurs, entreprises et collectivités, ont ainsi rejoint l’initiative Éco d’Eau, initiée par Veolia, qui vise à encourager la sobriété et la coopération, notamment à travers des démarches d’engagement volontaire et de sensibilisation.

En lien avec leurs stratégies climat et nature, les entreprises membres d’EpE y travaillent, dans la continuité des travaux menés précédemment.

Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé- Environnement, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique

Source : Lettre d’EpE n° 76 – avril 2025

Trois questions à Patrick Koller, Directeur général de FORVIA*

* Patrick Koller a transmis la direction générale à Martin Fischer depuis le 1er mars 2025.

Quelle est la stratégie de Forvia pour sa décarbonation ?

Forvia, avec 150 000 collaborateurs et 27 B€ de chiffre d’affaires, se transforme depuis 2015 en s’appuyant sur deux convictions :

  • le changement climatique est une urgence : le flux des émissions doit baisser rapidement ;
  • la mobilité est une aspiration fondamentale et doit être attractive, abordable et pérenne.

Nos produits équipent une voiture sur deux produite dans le monde, y compris en Chine, avec essentiellement des intérieurs, sièges et planches de bord, de l’éclairage et de l’électronique. Notre stratégie, validée par SBTi, est construite sur leur allègement et sur la décarbonation de leur production ; nous nous sommes engagés en 2019 à réduire de 45 % nos émissions d’ici 2030, en incluant la quote-part des émissions des voitures qui utilisent nos produits. Nous sommes en avance sur cette trajectoire, avec déjà plus de 50 % d’énergies renouvelables dans nos usines en 2024. En termes d’allègement, nous sommes sur la voie d’un vrai découplage avec un poids total des produits vendus qui devrait se réduire de 17 % en même temps que le chiffre d’affaires devrait augmenter de 20 à 30 %.

Nous avons aussi, au-delà de la décarbonation, des actions concrètes pour la biodiversité sur nos sites, et notre fondation aide Plastic Odyssey à accélérer et améliorer le recyclage des plastiques en produits utiles sur place, tout autour du monde.

Quelle est votre vision pour la transition du secteur automobile ?

L’âge moyen des clients en Europe est de 55 ans, alors qu’il est de 30 ans en Chine – les voitures sont donc conçues bien différemment.

Le marché européen s’est construit jusqu’à arriver à un « excès de contenu » des voitures ; l’ajout d’options, de nombreux équipements électroniques – que les ingénieurs européens maîtrisent moins bien que la mécanique – a conduit à des redondances dans les équipements et surtout à un poids excessif, donc un coût excessif.

Aujourd’hui, le besoin du marché est pour des citadines électriques de 300 km d’autonomie, coûtant moins de 15 K€ ; si les constructeurs européens n’arrivent pas à faire cela, en simplifiant et en allégeant leurs véhicules, le marché va être envahi de voitures chinoises, car elles répondent à ce cahier des charges. Vingt pays européens n’ont pas de constructeur national, et sont enclins à choisir les véhicules les plus compétitifs. Il faut revenir au « juste nécessaire ».

Nous sommes aussi soucieux du contenu européen des voitures vendues, et de la compétitivité des fournisseurs de rang n-2 et n-3. Les achats représentent 75 % du chiffre d’affaires et notre compétitivité en dépend. Or, dans un marché automobile sans croissance, la dynamique d’un écosystème de fournisseurs se fait par le développement de nouveaux marchés. Ainsi notre filiale Materi’Act qui travaille sur nos matériaux recyclés ou biosourcés s’étend aussi hors du secteur automobile.

Quelles transformations de modèles d’affaires préconisez-vous ?

Nous croyons à « Use less, better, longer », à l’innovation technologique et au blue effect, accumulation de petits changements dont la somme est significative.

Longer inclut l’allongement de la durée de vie des voitures. Aujourd’hui les prêts automobiles sont faits sur 3-4 ans en Europe ; les véhicules électriques ont une durée de vie suffisante pour doubler ce temps, ce qui les rendrait beaucoup plus accessibles, surtout si l’on laisse un mois par an sans remboursement. Cela veut dire aussi qu’une voiture de dix ans aura une valeur résiduelle, comme un bâtiment – ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Less recouvre le « juste nécessaire », et nous revoyons les fonctions de chaque pièce dans cet esprit, puis leur design et leur composition.

Better fait référence à nos modes de production : nous avons considérablement changé les matériaux – acier décarboné, plastiques recyclés, biomatériaux, à moindre empreinte environnementale ; ce sont pour beaucoup des matériaux irréguliers, et nous mettons en œuvre des logiciels d’IA pour garantir leurs performances malgré ces irrégularités, et pour valoriser des « défauts élégants ». Il faut beaucoup de technologie pour cela.

Nous avons standardisé et amélioré dans le même esprit nombre de conceptions de produits : par exemple, les structures des sièges auto que nous fabriquons sont très standardisées et intègrent différentes fonctions en un bloc, allégeant l’ensemble et réduisant le nombre de pièces nécessaires autour. Ils peuvent aisément être désassemblés pour pouvoir upgrader certaines fonctions ou changer la couleur.

Nous utilisons l’impression 3D pour faire un allègement des composants que nous ne pourrions pas obtenir par injection.

Nous croyons aussi à l’amélioration de moteurs thermiques au moins pour faire des « range extenders » qui sont une bonne solution pour les véhicules électriques, plus légère qu’une double motorisation. Peu de constructeurs européens y travaillent.

Tous nos collaborateurs sont mobilisés dans cette transformation, le blue effect les inspire car ils savent qu’il n’y a pas de progrès négligeable et cela les stimule. Forvia est une entreprise d’ingénieurs, intéressés à développer sous contrainte, d’autant qu’il s’agit de suivre des convictions profondes et l’intérêt collectif, ce qui est important pour recruter les meilleurs talents.

Quant aux consommateurs, ils sont intéressés à réduire les émissions, du moment que la qualité perçue ne soit pas détériorée ; ils acceptent des défauts qui ne nuisent pas à la qualité perçue (couleurs, formes différentes). Nous travaillons actuellement sur l’intérieur d’une petite voiture qui intégrerait le respect le plus élevé possible de l’environnement en vue du CES 2026.

Source : Lettre d’EpE n° 76 – avril 2025

Question ouverte – Quel dialogue entreprise-finance pour accélérer la transition écologique ?

La transition écologique appelle des transformations stratégiques majeures dans les entreprises, et les dirigeants des sociétés cotées ont besoin de s’assurer que leurs actionnaires comprennent ces enjeux, les nouveaux profils de risques, d’investissements et de rentabilité et qu’ils les soutiennent dans la transformation de leurs activités. Symétriquement, les investisseurs ont besoin d’obtenir un certain nombre d’informations et de garanties sur les activités et les plans de transition des sociétés, afin de s’assurer que leurs investissements sont cohérents par rapport à leur propre stratégie de transition et que les risques sont maîtrisés, notamment en prévenant l’apparition d’actifs échoués dans leurs portefeuilles et en identifiant de nouvelles opportunités. Cette nécessité d’intégrer les risques physiques et de transition, les impacts et les opportunités, fait des échanges autour de la transition écologique une composante croissante du dialogue entre entreprises et investisseurs.

Quels sont aujourd’hui les pratiques, les outils disponibles et les questions encore ouvertes sur ce dialogue ?

Les outils de reporting et déclarations extra-financières font historiquement partie de la communication entre investisseurs et émetteurs de dette. Dès 2000 et pour le compte d’investisseurs, le CDP a incité les entreprises à publier émissions, actions et risques climatiques. De volontaires et hétérogènes, ces pratiques se sont progressivement standardisées, notamment sous l’effet des réglementations et des demandes accrues de transparence et de comparabilité de la part des investisseurs et régulateurs. La stabilisation du cadre réglementaire offre l’opportunité de bâtir et partager des métriques, des méthodologies d’analyse ainsi que des outils de pilotage de la transition.

Pour les investisseurs, si des actions individuelles sont possibles – politiques sectorielles, intégration de critères extra-financiers, exclusion –, leur potentiel d’action rencontre des limites lorsqu’il s’agit d’accompagner des changements systémiques. Ainsi, le regroupement dans des coalitions est particulièrement privilégié lorsqu’il s’agit d’encourager des dynamiques de fond. Le Climate Action 100+ (CA100+), lancé au cours du One Planet Summit en 2017, rassemble ainsi plus de 700 investisseurs totalisant plus de 46 000 milliards de dollars d’actifs avec pour ambition d’inciter les grands émetteurs de l’économie mondiale à réduire leurs émissions de GES ; lancée en 2019, l’alliance Net-Zero Asset Owner (NZAO) est une initiative d’investisseurs institutionnels qui s’engagent à faire évoluer leurs portefeuilles d’investissement vers zéro émission nette de GES d’ici à 2050. Côté biodiversité, le Nature Action 100 rassemble 190 investisseurs qui ciblent, par leurs actions d’engagement, 100 entreprises clés au niveau mondial.

Les assemblées générales et roadshows pour investisseurs sont depuis quelques années des moments privilégiés pour communiquer, expliquer et comprendre les stratégies et attentes réciproques, notamment sur les enjeux de durabilité. Si la France s’est distinguée en 2023 en étant le pays où un tiers des Say On Climate a été déposé, certaines entreprises font plutôt le choix de présenter leurs stratégies climat en assemblée générale sans solliciter de vote. La diversité du niveau de détails de la stratégie présentée, de sa soumission ou non à un vote consultatif, ainsi que de la périodicité de cet exercice reste encore forte ; les pratiques diffèrent quant au niveau de prise en compte des enjeux climatiques dans le dialogue actionnarial, qui dépend du secteur d’activité, des émissions de GES, des expositions au risque climatique (physiques et de transition), ainsi que de la zone géographique du siège social de l’entreprise.

Dans un monde marqué par un contexte instable, entreprises et financiers ont tout intérêt à maintenir et poursuivre ce dialogue, continuité et ambition étant essentielles à l’atteinte des objectifs de la transition écologique. La 3e édition du colloque DEFi « Dialogue Entreprise – Finance pour la transition écologique », coorganisé par EpE et l’Institut de la Finance Durable le 18 décembre dernier, a permis d’avancer dans ce sens. Les débats ont notamment fait ressortir la nécessité d’une transition intégrée prenant en compte les limites physiques et biologiques de la planète, la justice sociale et la compétitivité des entreprises. Trois voies de progrès proposées dans l’étude ETE 2030 de 2023 ont aussi été largement débattues : la sobriété, l’économie circulaire et un nouveau lien avec la nature.

Construire, débattre et faire évoluer un récit de la transition partagé entre financeurs et entreprises permet ensuite d’élargir ce débat à l’écosystème des autres acteurs de cette transformation : salariés, pouvoirs publics, territoires, consommateurs, société civile… C’est une étape indispensable que le monde économique, entreprises et financeurs ensemble, peut engager. La publication prochaine des actes de ce colloque y contribuera.

Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé-Environnement, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique

Source : Lettre EpE n° 75 – janvier 2025

Trois questions à Sabrina Soussan, Présidente-Directrice générale de SUEZ*

* Sabrina Soussan quittera le groupe SUEZ au 31 janvier 2025.


Comment définissez-vous le nouveau SUEZ, et quels sont vos principaux axes de travail ?

SUEZ est un leader mondial de l’eau et des déchets, avec un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros et 40 000 collaborateurs dans le monde. Nous avons 10 centres de recherche, 1 100 experts, et nous plaçons l’innovation au cœur de nos activités. C’est pourquoi notre plan stratégique 2023-2027 prévoit l’augmentation de 50 % du budget alloué à la R&D d’ici 2027. Nous sommes une entreprise de services, un industriel, mais je dirais aussi un énergéticien : nous avons produit en 2023 plus de 7 GWh d’énergie grâce aux déchets et aux eaux usées.

Parmi nos grands chantiers, je peux citer les axes de travail suivants :

  • nous devons collectivement faire un usage plus raisonné des ressources. Pour cela, nos modèles économiques doivent évoluer en ce sens ;
  • nos métiers de l’eau et des déchets contribuent par essence au développement durable, à la préservation des ressources. Pour aller plus loin, nous nous sommes engagés dans une transition ambitieuse, à travers notre feuille de route développement durable. Nous voulons rendre notre consommation d’électricité plus durable, et allons porter la part d’électricité renouvelable ou de récupération à 70 % de notre consommation totale d’ici 2030 au niveau mondial, et à 100 % en Europe. D’ores et déjà, nous avons atteint l’autosuffisance électrique de nos activités en Europe. En matière de biodiversité, deux tiers de nos sites prioritaires bénéficient déjà d’un plan d’action déployé et appliqué, et ce sera 100 % en 2027. Nous agissons aussi pour mieux préserver la ressource en eau : d’ici 2027 toujours, nous intégrerons dans toutes nos offres de production et distribution d’eau un engagement de préservation de la ressource ;
  • nous avons mis en place une politique d’insertion volontariste, notamment à travers notre filiale dédiée Rebond Insertion. Depuis sa création, elle a déjà accompagné plus de 12 000 personnes, dont plus de 7 850 ont retrouvé le chemin de l’emploi. C’est une demande de nos clients, mais c’est aussi une conviction. Nous considérons que l’innovation sociale fait pleinement partie de la stratégie d’innovation ;
  • enfin, la transition écologique appelle de nombreuses collaborations : avec nos clients collectivités, avec des industriels, des partenaires d’autres secteurs, les acteurs financiers, et les citoyens. C’est indispensable pour mener à bien les transformations nécessaires, pour repenser nos usages de l’eau et des déchets, et mieux les valoriser.

Comment généraliser les modèles de contrats incitatifs à la sobriété ?

Nous avons été pionniers dans la mise en œuvre de contrats de performance, c’est-à-dire des contrats qui rémunèrent la réduction des flux de déchets stockés ou la réduction des consommations dans le cas de l’eau. Cela passe par un accompagnement des citoyens pour les aider à mieux maîtriser leur consommation, avec des solutions comme la télérelève des compteurs d’eau par exemple, ou encore des programmes de réduction des fuites sur les réseaux. Dans le domaine de la gestion des déchets, c’est par exemple mettre en place des plans d’action ciblés pour sensibiliser les habitants, renforcer le tri des déchets alimentaires et améliorer celui des emballages recyclables.

C’est un véritable changement de modèle, du volume à la valeur. Dans le domaine de l’eau, cela s’inscrit dans un contexte plus global, qui doit nous amener à mettre en place une gestion plus structurelle, plus durable, plus anticipée de la ressource en eau ‒ notamment pour adapter les services de l’eau aux défis liés au changement climatique. Cela nécessite des investissements et il faut donc aborder, avec tous les acteurs du secteur et les collectivités, la nécessaire évolution du modèle de financement des services de l’eau et d’assainissement.

Je crois aussi qu’il faut faire converger des usages raisonnés et une transition juste. C’est ce que nous prônons chez SUEZ. Dans le domaine de l’eau toujours, cela peut passer par exemple par la mise en place d’une tarification éco-solidaire. C’est un dispositif qui encourage une consommation raisonnée de l’eau en instaurant des tranches de tarification progressive, entre eau essentielle (seuil correspondant aux besoins vitaux des foyers), eau utile et eau de confort au-delà.

Dans l’eau comme dans les déchets, les évolutions comportementales sont essentielles pour mener à bien ces transformations. Le Lyre, notre centre de recherche implanté à Bordeaux, travaille notamment sur ce sujet.

Comment la transition transforme-t-elle vos métiers, et comment financez-vous ce mur d’investissements ?

Ces transformations appellent en effet de grandes innovations. Mais la bonne nouvelle, c’est que des solutions existent déjà. En matière de qualité de l’eau, je peux citer par exemple l’osmose inverse basse pression. C’est une solution que nous allons mettre en place à Auxerre et qui permettra d’obtenir une eau de qualité premium, sans goût de chlore, et beaucoup moins calcaire. Ou encore le sujet des PFAS, sur lequel nous avons des solutions à la fois pour les détecter, mais aussi pour proposer des traitements à nos clients, adaptés à leur contexte local.

Je pense aussi aux solutions pour produire des ressources en eau alternatives, comme la réutilisation des eaux usées, ou encore comme le dessalement. Ce sont des technologies matures. SUEZ a construit 260 usines de dessalement dans le monde !

Dans le domaine des déchets, je peux citer les solutions pour toujours mieux les valoriser en énergie. Nous avons par exemple un partenariat avec CMA CGM pour leur livrer de grandes quantités de biométhane, un carburant renouvelable, sur plusieurs années. Nous travaillons aussi sur le sujet du biochar, une solution de séquestration du carbone, qui améliore la fertilité des sols. Dernier exemple, le recyclage des véhicules, sur lequel nous travaillons avec Renault.

Cette écologie industrielle suppose en effet pour être financée des partenariats nouveaux, ambitieux et de long terme entre acteurs industriels et avec les territoires.

Pour financer ces transformations, je crois qu’il est essentiel d’améliorer l’anticipation chez l’ensemble des acteurs. En Australie par exemple, les usines de dessalement ont été construites pour anticiper les épisodes de stress hydrique.

Tout cela illustre la grande variété de nos métiers, qui ont je crois un point commun, c’est d’être passionnants ! Ce sont des métiers qui ont véritablement du sens pour construire le monde de demain.

Source : Lettre EpE n° 75 – janvier 2025

Trois questions à Nicolas Naudin, Président de BASF France et Managing Director France

Quel est votre principal enjeu environnemental et quels sont vos objectifs ?

La chimie est « l’industrie des industries », et notre stratégie consiste aussi bien à décarboner notre activité qu’à faciliter la décarbonation de nos clients par l’évolution de notre portefeuille de produits.
Nous avons pour objectif de diminuer les émissions de CO2 du groupe entre 2018 et 2030 de 25 % pour le Scope 1 et 2, et de 15 % pour le Scope 3.1, avec une ambition Net Zero en 2050 pour les trois.
Pour ce faire, nous allons faire évoluer notre mix énergétique en électrifiant nos sites et en augmentant la part d’énergies renouvelables (notamment éolien et solaire) et bas carbone de deux façons :
•    en finançant sur fonds propres et en partenariat la construction de parcs éoliens en mer du Nord et au large des côtes allemandes ;
•    via des contrats long terme avec des fournisseurs locaux d’énergie verte, comme Engie et Orsted.
En complément, sur notre site d’Anvers en Belgique, nous travaillons avec Air Liquide au développement d’une installation de capture de CO2. Ce projet devrait permettre à terme de capturer 1 million de tonnes de CO2 sur les 3 millions émises actuellement par notre site chaque année.
D’innombrables chaînes de valeur ont pour origine nos vapocraqueurs, véritable cœur de l’industrie de la chimie, qui permettent de chauffer à 850 °C le naphta, matière première de la plupart des solutions que nous proposons. Ils fonctionnent actuellement aux énergies fossiles. Les électrifier permettra de réduire de 90 % les émissions de CO2 liées à leur activité. Nous travaillons avec Linde et Sabic sur un prototype déjà à l’essai sur notre site Verbund (plateforme) de Ludwigshafen.
Enfin, en parallèle de nos 6 Verbunds, comparables à des écosystèmes industriels reliant entre eux jusqu’à 200 unités de production, nous implantons nos usines au plus près des fournisseurs et clients de matières recyclées et solutions. A l’exemple des batteries, notre site de Schwarzheide à l’est de l’Allemagne s’inscrit dans l’écosystème local où figurent de nombreuses autres industries, notamment automobiles et batteries.
Quel que soit le site considéré, Verbund ou plateforme, la plupart des solutions mises en œuvre sont faites « sur mesure » et ne sont pas immédiatement reproductibles tant nos sites ont chacun leurs spécificités. La proximité géographique avec nos clients et fournisseurs est un élément clef pour le développement de boucles vertueuses.

Comment travaillez-vous avec vos fournisseurs et clients ?

La décarbonation de nos activités passe aussi par celle de notre chaîne de valeur, notamment amont. Nous avons ainsi travaillé pendant deux ans à l’estimation de l’empreinte carbone de 45 000 de nos produits que nous pouvons communiquer à nos clients, sur demande. Ces recherches ciblées sur nos fournisseurs ont permis d’évaluer qu’environ 70 % des émissions liées à notre portefeuille venaient de notre Scope 3 amont. Nous avons donc mis en place un CO2 Management Program visant à interroger, engager et accompagner les fournisseurs pour réduire leur empreinte carbone.
Au-delà, nous visons à accroître la durabilité de nos produits et la transparence de leur composition à travers notre méthode TripleS. Cette méthode de pilotage de l’innovation et de notre portefeuille de produits permet d’identifier, d’une part, les solutions vertueuses et contributrices d’un point de vue environnemental, et d’autre part, les solutions moins durables. Cela nous permet de travailler concrètement sur des axes d’amélioration, sur les aspects sanitaires, de biodiversité, de ressources autant que d’émissions carbone.
La chimie est à l’amont de la majorité des secteurs industriels et est donc un contributeur incontournable à leur transition écologique. Nous essayons d’accompagner nos clients dans leur transition environnementale, sur les émissions comme sur les autres enjeux.
Nous utilisons pour ce faire l’approche dite « mass balance » qui permet via un système d’allocation d’augmenter la part de nos matières premières bas-carbone (biomasse en particulier, mais aussi matières premières recyclées), de réduire nos intrants fossiles, et d’en faire bénéficier les clients qui souhaitent la valoriser.
Pour certaines activités, nous sommes passés d’un modèle transactionnel à un modèle de collaboration stratégique avec nos clients sur le long terme pour le développement de produits. Par exemple, nous avons plusieurs sites de production en France où nous travaillons avec les professionnels de la cosmétique sur des principes actifs plus durables, issus de produits biosourcés, et les accompagnons dans le développement de leurs produits et la valorisation auprès de leurs propres clients.
L’accompagnement de nos clients est une démarche fondamentale pour le déploiement de nos solutions durables. Ce processus peut réclamer du temps sur certains marchés, ou au contraire se faire très rapidement sur d’autres (comme en cosmétique).

Pouvez-vous préciser cela dans le secteur agricole dont vous êtes fournisseur ?

Nous étudions de nouveaux business models plus incitatifs à la réduction des impacts, notamment en passant à un modèle basé sur l’économie de la fonctionnalité. Dans le domaine de l’agriculture, nous avons développé la solution Xarvio qui passe d’une logique de vente de produits (engrais et produits phytosanitaires) à une logique de service. Grâce à l’utilisation d’images par satellite, couplées à des données météorologiques et de terrain, ce service de surveillance et de contrôle assisté par ordinateur permet d’optimiser les rendements des agriculteurs tout en identifiant les endroits nécessitant des traitements. Cette solution réduit ainsi efficacement l’utilisation d’intrants.
Nous nous sommes aussi fixé des objectifs de réduction de nos ventes de produits phytosanitaires conventionnels : les produits innovants et de biocontrôle devraient représenter 30 % de nos ventes d’ici à 2030, et nous visons une part de marché de 15 % sur le biocontrôle. C’est en ce sens que nous investissons 15 % de notre budget R&D dans le développement de ces solutions innovantes et durables.

Source : Lettre EpE n° 74 – octobre 2024

Question ouverte – Les entreprises peuvent-elles agir pour la sobriété ?

Le contexte de crise énergétique, depuis la guerre en Ukraine, a vu pour la première fois des chefs d’entreprise appeler à la sobriété [1]. Le sixième rapport du GIEC a également invité à considérer cette voie parmi les différents leviers d’atténuation du changement climatique et pose directement la question aux entreprises d’un engagement plus systématique et de long terme en faveur de la sobriété.

Celle-ci présente l’intérêt d’éviter les effets rebonds inévitablement générés par l’amélioration de l’efficacité énergétique, ou plus largement les progrès techniques. Elle constitue ainsi le complément indispensable des transformations en cours (rénovation, électrification, etc.), pour à la fois accélérer les réductions d’émissions à court terme et faciliter l’atteinte de l’objectif de neutralité à long terme.

Il est important que la sobriété ne soit pas perçue comme à la seule charge des consommateurs – elle peut au contraire être organisée collectivement pour devenir structurelle :

  • elle se construit par des investissements dans des infrastructures à même de faciliter les comportements individuels sobres (isolation des bâtiments, écomobilité, ville compacte…) ;
  • son potentiel est lié à la mise en œuvre de cadres de vie collective par les pouvoirs publics. Ces cadres sont d’autant mieux acceptés que leur nécessité est largement expliquée, débattue et comprise. Certains commencent à être opérationnels (marché européen du carbone en cours d’extension, zéro artificialisation nette, etc.) mais restent à la fois insuffisants et peu populaires ;
  • la sobriété matérielle devrait être compatible avec une amélioration du confort des modes de vie, ces derniers se fondant moins sur l’achat de produits et plus sur des services ;
  • elle ne concerne pas seulement les comportements des consommateurs, mais l’ensemble de la société et du monde économique.

Les décisions des pouvoirs publics viendront favoriser et accompagner la conception et le déploiement de nouvelles solutions. En effet, si, dans le secteur privé, la sobriété reste, pour l’heure, essentiellement appréhendée au niveau des opérations (bâtiments tertiaires, mobilité professionnelle, eau des processus), de nombreuses expérimentations voient des entreprises développer une nouvelle définition de leurs métiers à travers un large éventail d’innovations (produit/service, chaîne de valeur, marchés, etc.), dans ce qui s’apparente à une approche plus ambitieuse de l’écoconception élargie à l’ensemble de l’activité.

De telles démarches peuvent conduire à de nouveaux avantages compétitifs et ainsi rester compatibles avec un objectif de croissance économique. D’une part, elles permettent de proposer des offres différenciantes, à un coût économique optimisé et anticipant l’évolution des marchés du carbone. D’autre part, elles contribuent à la résilience des activités, dans un contexte de raréfaction et de conflits d’usages autour de certaines ressources clés pour la transition écologique (matériaux rares, matières recyclables, biomasse, etc.) ou de limitation progressive de certaines ressources, telles que le plastique pour les usages non essentiels. Mais de telles transformations sont complexes à mettre en œuvre : comment organiser, collectivement et sur le temps long, le passage à l’échelle de la sobriété, dans les entreprises, leur écosystème et plus largement dans la société ?

Par différents travaux en cours (publication à venir sur les modèles d’affaires sobres, dialogue avec leurs parties prenantes sur la sobriété, élaboration de scénarios de projection de la sobriété avec l’école de design STRATE), les entreprises membres d’EpE apporteront prochainement de premières réponses concrètes pour accélérer cette transformation.

[1] Voir aussi Institut Veolia, « Les défis sociaux et économiques de la sobriété », 2024, https://www.youtube.com/watch?v=Up3-a2TG_zs

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Ken Guiltaux, Responsable des pôles Climat et Achats

Source : Lettre EpE n° 74 – octobre 2024

Question ouverte – Comment faire de la transition écologique un sujet de dialogue social dans les entreprises ?

La transition écologique est source de transformations dans les activités des entreprises, impactant l’organisation du travail et les salariés. Elle est étroitement liée au changement climatique qui appelle d’autres transformations des conditions de travail. En réunissant les directions d’entreprises et les représentants des salariés, le dialogue social peut servir de levier pour aborder les sujets liés à ces transformations, d’où l’intérêt d’identifier et de surmonter les freins et de faire de la transition écologique un sujet central de ce dialogue.

Les travaux du Comité RH d’Entreprises pour l’Environnement (EpE), présidé depuis 2022 par Myriam El Khomri (Diot-Siaci), ont également mis en évidence les transformations et réflexions en cours au sein des entreprises. Ils s’ancrent dans un contexte de montée de la mobilisation :

  • en 2022, seuls 15 % des élus des comités sociaux et économiques (CSE) ont été formés aux sujets environnementaux et 10 % se sentaient compétents pour porter ces sujets (Baromètre Syndex- Ifop, 2022), alors que la loi Climat & Résilience d’août 2021 a élargi les attributions des CSE aux enjeux de la transition écologique ;
  • selon l’étude « Perception des salariés français sur la transition écologique et de ses enjeux de dialogue social » (Diot-Siaci Institute, IFOP – mai 2024), les CSE sont perçus comme le quatrième acteur prioritaire pour agir en faveur de la transition écologique dans l’entreprise, après les dirigeants, la direction RH/RSE, et les salariés eux-mêmes ;
  • signé en avril 2023, l’Accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et au dialogue social sert de référence aux De premiers outils existent, à destination des représentants (la boîte à outils de la CFDT, le Radar Travail et Environnement de la CGT…) ou des directions (Green RH par Axa Climate School) ;

Dans ce contexte, EpE, la CFDT et l’Observatoire du dialogue social ont coorganisé le colloque « Le dialogue social, accélérateur de la transition écologique », le 25 juin dernier, avec 22 autres partenaires (réseaux RH/RSE, organisations patronales et syndicales, institutionnels, experts et ONG). Plus de 250 personnes ont participé à cette demi-journée de rencontres et d’échanges avec pour objectif d’engager largement tous les acteurs de l’entreprise et de répondre aux attentes des salariés.

Les plénières du colloque se sont attelées à visibiliser et rendre opérationnel le dialogue social pour anticiper les transformations et favoriser l’acceptation sociale des changements. Trois ateliers ont traité de l’adaptation des conditions de travail, de l’attractivité des métiers de la transition écologique et des évolutions à prévoir en matière d’emplois et de compétences dans tous les métiers.

Les débats ont mis en exergue différents enjeux. Avec l’augmentation des épisodes climatiques extrêmes les mesures d’adaptation doivent assurer des conditions de travail vivables ; cela suppose d’identifier les risques professionnels, d’adapter les horaires de travail… Pour répondre aux besoins de la planification écologique, les métiers et les compétences évolueront. Présent au colloque, Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique, a rappelé que plus de 2,8 millions de personnes devront être formées d’ici 2030. L’étude ETE 2030 d’EpE souligne que certains métiers de la transition sont déjà en tension (bâtiment, agriculture…) du fait du manque de main-d’œuvre formée ou des conditions propres à certains emplois concernés (précarité, conditions de travail parfois contraignantes).

Ainsi, anticiper les formations nécessaires aux emplois de demain et attirer de nouveaux professionnels deviennent des enjeux majeurs. Loin d’être un défi hors de portée, les transformations sont aussi l’opportunité d’enrichir les compétences et d’améliorer la qualité de l’emploi ainsi que le sens du travail de tous les salariés.

Systématiser l’intégration de la transition écologique au dialogue social est possible en accélérant d’abord la conscience de l’enjeu, puis les formations dédiées pour l’ensemble des partenaires sociaux. Donner les outils pour prendre en main ces sujets, dans le respect des institutions existantes de ce dialogue, contribuera à massifier progressivement la dynamique du dialogue entre partenaires sociaux, au-delà des négociations obligatoires.

Par les transformations qu’elle apporte, la transition écologique devient un sujet de dynamisation du dialogue social et de l’engagement syndical. Réciproquement, le dialogue social est une opportunité pour accélérer la transition écologique au sein des entreprises.

La mobilisation des 22 partenaires et la présence de nombreux participants ont confirmé l’importance de travailler collectivement. Les intervenants ont insisté sur l’intérêt de poursuivre l’intégration de la transition écologique au dialogue social à l’échelle des entreprises, des branches et des territoires. Les partenaires du colloque et le Comité RH d’EpE y contribueront.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Alicia Lachaise, Responsable Océan, Affaires Publiques et Ressources Humaines

Source : La Lettre d’EpE – n° 73 – juillet 2024