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Question ouverte – Eau et entreprises, le défi de la sobriété ?

« Une demande en eau doublée à l’horizon 2050, dans un contexte de perturbations climatiques toujours plus intenses », c’est ce qu’anticipe le scénario « tendanciel » de France Stratégie, imaginé dans le cadre d’un travail prospectif paru en janvier 2025. Si l’été 2022, où 97 % du territoire métropolitain fut concerné par des mesures de restriction, a été un véritable électrochoc, les transformations à mener pour assurer une gestion durable et résiliente de la ressource en eau restent majeures et soulèvent de nouveaux défis pour les acteurs économiques. Le CDP Water Report de 2023 estime en effet à 77 milliards de dollars les répercussions possibles de la crise de l’eau dans les chaînes d’approvisionnement.

Trois éléments contribuent à accroître cette pression sur les ressources en eau :

  • les pollutions chimiques et biologiques, directes ou indirectes, qui en dégradant la qualité de l’eau diminuent la quantité disponible pour des usages sensibles (alimentation, irrigation) ;
  • les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau : évaporation, variabilité et violence des épisodes météorologiques, salinisation, fonte des glaces, pollution accrue suite aux événements extrêmes… Une diminution de 30 à 40 % de l’eau douce disponible est estimée d’ici à 2050 ;
  • les conflits d’usage entre les consommations croissantes des activités humaines et les besoins des écosystèmes.

Des risques physiques causés par un excès ou un manque d’eau (inondations, pénuries) découlent de ces nouveaux cycles de l’eau. Les impacts sur l’activité des entreprises se matérialisent de manière tangible, et peuvent aller jusqu’à l’arrêt complet des opérations. La nature épisodique de ces risques ainsi que le faible prix de l’eau ralentissent la prise de conscience de ces risques et donc la mobilisation face à ce nouveau défi.

La France s’est dotée depuis 60 ans de comités de bassin et d’agences de l’eau pour créer, au niveau local, les lieux de concertation et les outils financiers de déploiement des politiques européenne et nationale de l’eau.

Mettre en place une gestion durable et résiliente de la ressource en eau implique des changements de modèles économiques, pour favoriser l’économie d’eau et sa réutilisation, pour améliorer la qualité des cours d’eau et la gestion des nappes, dont nombre ne sont pas de bonne qualité. De nouvelles directions de travail apparaissent : utiliser des solutions fondées sur la nature (haies, couvert végétal, restauration de zones humides, reméandrement pour ralentir les débits, infiltrer et retenir l’eau dans les nappes plutôt que l’évacuer au plus tôt…), privilégier des activités ou procédés économes en eau, trouver de nouveaux modèles de rémunération…

Pour les entreprises, les stratégies mises en place font apparaître trois domaines d’actions principaux :

  • la diminution des vulnérabilités – avec une approche basée sur l’évaluation des risques et la diminution des Industriels et financiers cartographient les risques parmi leurs sites, chaînes d’approvisionnement ou portefeuilles d’investissements. Selon le CDP, 90 % de l’empreinte eau se situe ainsi en amont des chaînes de valeur ; l’engagement des fournisseurs est donc essentiel ;
  • le pilotage et l’intégration dans les prises de décision – la mesure soulève encore de nombreuses interrogations : prélèvement versus consommation, nouvelles pollutions, sélection des zones géographiques à risque… Le financement des investissements peut s’adosser à des outils comme le prix virtuel de l’eau ou les prêts à impact ;
  • le triptyque partage, coopération et gouvernance – la multiplicité des usages rend essentiels la coopération et le dialogue entre usagers pour organiser collectivement l’utilisation de la ressource : participation aux instances de gouvernance, gestion concertée des retenues d’eau (irrigation, boisson, hydroélectricité, continuité écologique, loisirs…), réutilisation de l’eau entre industriels pour réduire la Les approches collectives sont de plus en plus mobilisées : plus de 600 acteurs, entreprises et collectivités, ont ainsi rejoint l’initiative Éco d’Eau, initiée par Veolia, qui vise à encourager la sobriété et la coopération, notamment à travers des démarches d’engagement volontaire et de sensibilisation.

En lien avec leurs stratégies climat et nature, les entreprises membres d’EpE y travaillent, dans la continuité des travaux menés précédemment.

Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé- Environnement, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique

Source : Lettre d’EpE n° 76 – avril 2025

Trois questions à Patrick Koller, Directeur général de FORVIA*

* Patrick Koller a transmis la direction générale à Martin Fischer depuis le 1er mars 2025.

Quelle est la stratégie de Forvia pour sa décarbonation ?

Forvia, avec 150 000 collaborateurs et 27 B€ de chiffre d’affaires, se transforme depuis 2015 en s’appuyant sur deux convictions :

  • le changement climatique est une urgence : le flux des émissions doit baisser rapidement ;
  • la mobilité est une aspiration fondamentale et doit être attractive, abordable et pérenne.

Nos produits équipent une voiture sur deux produite dans le monde, y compris en Chine, avec essentiellement des intérieurs, sièges et planches de bord, de l’éclairage et de l’électronique. Notre stratégie, validée par SBTi, est construite sur leur allègement et sur la décarbonation de leur production ; nous nous sommes engagés en 2019 à réduire de 45 % nos émissions d’ici 2030, en incluant la quote-part des émissions des voitures qui utilisent nos produits. Nous sommes en avance sur cette trajectoire, avec déjà plus de 50 % d’énergies renouvelables dans nos usines en 2024. En termes d’allègement, nous sommes sur la voie d’un vrai découplage avec un poids total des produits vendus qui devrait se réduire de 17 % en même temps que le chiffre d’affaires devrait augmenter de 20 à 30 %.

Nous avons aussi, au-delà de la décarbonation, des actions concrètes pour la biodiversité sur nos sites, et notre fondation aide Plastic Odyssey à accélérer et améliorer le recyclage des plastiques en produits utiles sur place, tout autour du monde.

Quelle est votre vision pour la transition du secteur automobile ?

L’âge moyen des clients en Europe est de 55 ans, alors qu’il est de 30 ans en Chine – les voitures sont donc conçues bien différemment.

Le marché européen s’est construit jusqu’à arriver à un « excès de contenu » des voitures ; l’ajout d’options, de nombreux équipements électroniques – que les ingénieurs européens maîtrisent moins bien que la mécanique – a conduit à des redondances dans les équipements et surtout à un poids excessif, donc un coût excessif.

Aujourd’hui, le besoin du marché est pour des citadines électriques de 300 km d’autonomie, coûtant moins de 15 K€ ; si les constructeurs européens n’arrivent pas à faire cela, en simplifiant et en allégeant leurs véhicules, le marché va être envahi de voitures chinoises, car elles répondent à ce cahier des charges. Vingt pays européens n’ont pas de constructeur national, et sont enclins à choisir les véhicules les plus compétitifs. Il faut revenir au « juste nécessaire ».

Nous sommes aussi soucieux du contenu européen des voitures vendues, et de la compétitivité des fournisseurs de rang n-2 et n-3. Les achats représentent 75 % du chiffre d’affaires et notre compétitivité en dépend. Or, dans un marché automobile sans croissance, la dynamique d’un écosystème de fournisseurs se fait par le développement de nouveaux marchés. Ainsi notre filiale Materi’Act qui travaille sur nos matériaux recyclés ou biosourcés s’étend aussi hors du secteur automobile.

Quelles transformations de modèles d’affaires préconisez-vous ?

Nous croyons à « Use less, better, longer », à l’innovation technologique et au blue effect, accumulation de petits changements dont la somme est significative.

Longer inclut l’allongement de la durée de vie des voitures. Aujourd’hui les prêts automobiles sont faits sur 3-4 ans en Europe ; les véhicules électriques ont une durée de vie suffisante pour doubler ce temps, ce qui les rendrait beaucoup plus accessibles, surtout si l’on laisse un mois par an sans remboursement. Cela veut dire aussi qu’une voiture de dix ans aura une valeur résiduelle, comme un bâtiment – ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Less recouvre le « juste nécessaire », et nous revoyons les fonctions de chaque pièce dans cet esprit, puis leur design et leur composition.

Better fait référence à nos modes de production : nous avons considérablement changé les matériaux – acier décarboné, plastiques recyclés, biomatériaux, à moindre empreinte environnementale ; ce sont pour beaucoup des matériaux irréguliers, et nous mettons en œuvre des logiciels d’IA pour garantir leurs performances malgré ces irrégularités, et pour valoriser des « défauts élégants ». Il faut beaucoup de technologie pour cela.

Nous avons standardisé et amélioré dans le même esprit nombre de conceptions de produits : par exemple, les structures des sièges auto que nous fabriquons sont très standardisées et intègrent différentes fonctions en un bloc, allégeant l’ensemble et réduisant le nombre de pièces nécessaires autour. Ils peuvent aisément être désassemblés pour pouvoir upgrader certaines fonctions ou changer la couleur.

Nous utilisons l’impression 3D pour faire un allègement des composants que nous ne pourrions pas obtenir par injection.

Nous croyons aussi à l’amélioration de moteurs thermiques au moins pour faire des « range extenders » qui sont une bonne solution pour les véhicules électriques, plus légère qu’une double motorisation. Peu de constructeurs européens y travaillent.

Tous nos collaborateurs sont mobilisés dans cette transformation, le blue effect les inspire car ils savent qu’il n’y a pas de progrès négligeable et cela les stimule. Forvia est une entreprise d’ingénieurs, intéressés à développer sous contrainte, d’autant qu’il s’agit de suivre des convictions profondes et l’intérêt collectif, ce qui est important pour recruter les meilleurs talents.

Quant aux consommateurs, ils sont intéressés à réduire les émissions, du moment que la qualité perçue ne soit pas détériorée ; ils acceptent des défauts qui ne nuisent pas à la qualité perçue (couleurs, formes différentes). Nous travaillons actuellement sur l’intérieur d’une petite voiture qui intégrerait le respect le plus élevé possible de l’environnement en vue du CES 2026.

Source : Lettre d’EpE n° 76 – avril 2025

Question ouverte – Quel dialogue entreprise-finance pour accélérer la transition écologique ?

La transition écologique appelle des transformations stratégiques majeures dans les entreprises, et les dirigeants des sociétés cotées ont besoin de s’assurer que leurs actionnaires comprennent ces enjeux, les nouveaux profils de risques, d’investissements et de rentabilité et qu’ils les soutiennent dans la transformation de leurs activités. Symétriquement, les investisseurs ont besoin d’obtenir un certain nombre d’informations et de garanties sur les activités et les plans de transition des sociétés, afin de s’assurer que leurs investissements sont cohérents par rapport à leur propre stratégie de transition et que les risques sont maîtrisés, notamment en prévenant l’apparition d’actifs échoués dans leurs portefeuilles et en identifiant de nouvelles opportunités. Cette nécessité d’intégrer les risques physiques et de transition, les impacts et les opportunités, fait des échanges autour de la transition écologique une composante croissante du dialogue entre entreprises et investisseurs.

Quels sont aujourd’hui les pratiques, les outils disponibles et les questions encore ouvertes sur ce dialogue ?

Les outils de reporting et déclarations extra-financières font historiquement partie de la communication entre investisseurs et émetteurs de dette. Dès 2000 et pour le compte d’investisseurs, le CDP a incité les entreprises à publier émissions, actions et risques climatiques. De volontaires et hétérogènes, ces pratiques se sont progressivement standardisées, notamment sous l’effet des réglementations et des demandes accrues de transparence et de comparabilité de la part des investisseurs et régulateurs. La stabilisation du cadre réglementaire offre l’opportunité de bâtir et partager des métriques, des méthodologies d’analyse ainsi que des outils de pilotage de la transition.

Pour les investisseurs, si des actions individuelles sont possibles – politiques sectorielles, intégration de critères extra-financiers, exclusion –, leur potentiel d’action rencontre des limites lorsqu’il s’agit d’accompagner des changements systémiques. Ainsi, le regroupement dans des coalitions est particulièrement privilégié lorsqu’il s’agit d’encourager des dynamiques de fond. Le Climate Action 100+ (CA100+), lancé au cours du One Planet Summit en 2017, rassemble ainsi plus de 700 investisseurs totalisant plus de 46 000 milliards de dollars d’actifs avec pour ambition d’inciter les grands émetteurs de l’économie mondiale à réduire leurs émissions de GES ; lancée en 2019, l’alliance Net-Zero Asset Owner (NZAO) est une initiative d’investisseurs institutionnels qui s’engagent à faire évoluer leurs portefeuilles d’investissement vers zéro émission nette de GES d’ici à 2050. Côté biodiversité, le Nature Action 100 rassemble 190 investisseurs qui ciblent, par leurs actions d’engagement, 100 entreprises clés au niveau mondial.

Les assemblées générales et roadshows pour investisseurs sont depuis quelques années des moments privilégiés pour communiquer, expliquer et comprendre les stratégies et attentes réciproques, notamment sur les enjeux de durabilité. Si la France s’est distinguée en 2023 en étant le pays où un tiers des Say On Climate a été déposé, certaines entreprises font plutôt le choix de présenter leurs stratégies climat en assemblée générale sans solliciter de vote. La diversité du niveau de détails de la stratégie présentée, de sa soumission ou non à un vote consultatif, ainsi que de la périodicité de cet exercice reste encore forte ; les pratiques diffèrent quant au niveau de prise en compte des enjeux climatiques dans le dialogue actionnarial, qui dépend du secteur d’activité, des émissions de GES, des expositions au risque climatique (physiques et de transition), ainsi que de la zone géographique du siège social de l’entreprise.

Dans un monde marqué par un contexte instable, entreprises et financiers ont tout intérêt à maintenir et poursuivre ce dialogue, continuité et ambition étant essentielles à l’atteinte des objectifs de la transition écologique. La 3e édition du colloque DEFi « Dialogue Entreprise – Finance pour la transition écologique », coorganisé par EpE et l’Institut de la Finance Durable le 18 décembre dernier, a permis d’avancer dans ce sens. Les débats ont notamment fait ressortir la nécessité d’une transition intégrée prenant en compte les limites physiques et biologiques de la planète, la justice sociale et la compétitivité des entreprises. Trois voies de progrès proposées dans l’étude ETE 2030 de 2023 ont aussi été largement débattues : la sobriété, l’économie circulaire et un nouveau lien avec la nature.

Construire, débattre et faire évoluer un récit de la transition partagé entre financeurs et entreprises permet ensuite d’élargir ce débat à l’écosystème des autres acteurs de cette transformation : salariés, pouvoirs publics, territoires, consommateurs, société civile… C’est une étape indispensable que le monde économique, entreprises et financeurs ensemble, peut engager. La publication prochaine des actes de ce colloque y contribuera.

Marie Marchand-Pilard, Responsable Santé-Environnement, Juridique et R&I
David Laurent, Directeur de la Transformation écologique

Source : Lettre EpE n° 75 – janvier 2025

Trois questions à Sabrina Soussan, Présidente-Directrice générale de SUEZ*

* Sabrina Soussan quittera le groupe SUEZ au 31 janvier 2025.


Comment définissez-vous le nouveau SUEZ, et quels sont vos principaux axes de travail ?

SUEZ est un leader mondial de l’eau et des déchets, avec un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros et 40 000 collaborateurs dans le monde. Nous avons 10 centres de recherche, 1 100 experts, et nous plaçons l’innovation au cœur de nos activités. C’est pourquoi notre plan stratégique 2023-2027 prévoit l’augmentation de 50 % du budget alloué à la R&D d’ici 2027. Nous sommes une entreprise de services, un industriel, mais je dirais aussi un énergéticien : nous avons produit en 2023 plus de 7 GWh d’énergie grâce aux déchets et aux eaux usées.

Parmi nos grands chantiers, je peux citer les axes de travail suivants :

  • nous devons collectivement faire un usage plus raisonné des ressources. Pour cela, nos modèles économiques doivent évoluer en ce sens ;
  • nos métiers de l’eau et des déchets contribuent par essence au développement durable, à la préservation des ressources. Pour aller plus loin, nous nous sommes engagés dans une transition ambitieuse, à travers notre feuille de route développement durable. Nous voulons rendre notre consommation d’électricité plus durable, et allons porter la part d’électricité renouvelable ou de récupération à 70 % de notre consommation totale d’ici 2030 au niveau mondial, et à 100 % en Europe. D’ores et déjà, nous avons atteint l’autosuffisance électrique de nos activités en Europe. En matière de biodiversité, deux tiers de nos sites prioritaires bénéficient déjà d’un plan d’action déployé et appliqué, et ce sera 100 % en 2027. Nous agissons aussi pour mieux préserver la ressource en eau : d’ici 2027 toujours, nous intégrerons dans toutes nos offres de production et distribution d’eau un engagement de préservation de la ressource ;
  • nous avons mis en place une politique d’insertion volontariste, notamment à travers notre filiale dédiée Rebond Insertion. Depuis sa création, elle a déjà accompagné plus de 12 000 personnes, dont plus de 7 850 ont retrouvé le chemin de l’emploi. C’est une demande de nos clients, mais c’est aussi une conviction. Nous considérons que l’innovation sociale fait pleinement partie de la stratégie d’innovation ;
  • enfin, la transition écologique appelle de nombreuses collaborations : avec nos clients collectivités, avec des industriels, des partenaires d’autres secteurs, les acteurs financiers, et les citoyens. C’est indispensable pour mener à bien les transformations nécessaires, pour repenser nos usages de l’eau et des déchets, et mieux les valoriser.

Comment généraliser les modèles de contrats incitatifs à la sobriété ?

Nous avons été pionniers dans la mise en œuvre de contrats de performance, c’est-à-dire des contrats qui rémunèrent la réduction des flux de déchets stockés ou la réduction des consommations dans le cas de l’eau. Cela passe par un accompagnement des citoyens pour les aider à mieux maîtriser leur consommation, avec des solutions comme la télérelève des compteurs d’eau par exemple, ou encore des programmes de réduction des fuites sur les réseaux. Dans le domaine de la gestion des déchets, c’est par exemple mettre en place des plans d’action ciblés pour sensibiliser les habitants, renforcer le tri des déchets alimentaires et améliorer celui des emballages recyclables.

C’est un véritable changement de modèle, du volume à la valeur. Dans le domaine de l’eau, cela s’inscrit dans un contexte plus global, qui doit nous amener à mettre en place une gestion plus structurelle, plus durable, plus anticipée de la ressource en eau ‒ notamment pour adapter les services de l’eau aux défis liés au changement climatique. Cela nécessite des investissements et il faut donc aborder, avec tous les acteurs du secteur et les collectivités, la nécessaire évolution du modèle de financement des services de l’eau et d’assainissement.

Je crois aussi qu’il faut faire converger des usages raisonnés et une transition juste. C’est ce que nous prônons chez SUEZ. Dans le domaine de l’eau toujours, cela peut passer par exemple par la mise en place d’une tarification éco-solidaire. C’est un dispositif qui encourage une consommation raisonnée de l’eau en instaurant des tranches de tarification progressive, entre eau essentielle (seuil correspondant aux besoins vitaux des foyers), eau utile et eau de confort au-delà.

Dans l’eau comme dans les déchets, les évolutions comportementales sont essentielles pour mener à bien ces transformations. Le Lyre, notre centre de recherche implanté à Bordeaux, travaille notamment sur ce sujet.

Comment la transition transforme-t-elle vos métiers, et comment financez-vous ce mur d’investissements ?

Ces transformations appellent en effet de grandes innovations. Mais la bonne nouvelle, c’est que des solutions existent déjà. En matière de qualité de l’eau, je peux citer par exemple l’osmose inverse basse pression. C’est une solution que nous allons mettre en place à Auxerre et qui permettra d’obtenir une eau de qualité premium, sans goût de chlore, et beaucoup moins calcaire. Ou encore le sujet des PFAS, sur lequel nous avons des solutions à la fois pour les détecter, mais aussi pour proposer des traitements à nos clients, adaptés à leur contexte local.

Je pense aussi aux solutions pour produire des ressources en eau alternatives, comme la réutilisation des eaux usées, ou encore comme le dessalement. Ce sont des technologies matures. SUEZ a construit 260 usines de dessalement dans le monde !

Dans le domaine des déchets, je peux citer les solutions pour toujours mieux les valoriser en énergie. Nous avons par exemple un partenariat avec CMA CGM pour leur livrer de grandes quantités de biométhane, un carburant renouvelable, sur plusieurs années. Nous travaillons aussi sur le sujet du biochar, une solution de séquestration du carbone, qui améliore la fertilité des sols. Dernier exemple, le recyclage des véhicules, sur lequel nous travaillons avec Renault.

Cette écologie industrielle suppose en effet pour être financée des partenariats nouveaux, ambitieux et de long terme entre acteurs industriels et avec les territoires.

Pour financer ces transformations, je crois qu’il est essentiel d’améliorer l’anticipation chez l’ensemble des acteurs. En Australie par exemple, les usines de dessalement ont été construites pour anticiper les épisodes de stress hydrique.

Tout cela illustre la grande variété de nos métiers, qui ont je crois un point commun, c’est d’être passionnants ! Ce sont des métiers qui ont véritablement du sens pour construire le monde de demain.

Source : Lettre EpE n° 75 – janvier 2025

Trois questions à Nicolas Naudin, Président de BASF France et Managing Director France

Quel est votre principal enjeu environnemental et quels sont vos objectifs ?

La chimie est « l’industrie des industries », et notre stratégie consiste aussi bien à décarboner notre activité qu’à faciliter la décarbonation de nos clients par l’évolution de notre portefeuille de produits.
Nous avons pour objectif de diminuer les émissions de CO2 du groupe entre 2018 et 2030 de 25 % pour le Scope 1 et 2, et de 15 % pour le Scope 3.1, avec une ambition Net Zero en 2050 pour les trois.
Pour ce faire, nous allons faire évoluer notre mix énergétique en électrifiant nos sites et en augmentant la part d’énergies renouvelables (notamment éolien et solaire) et bas carbone de deux façons :
•    en finançant sur fonds propres et en partenariat la construction de parcs éoliens en mer du Nord et au large des côtes allemandes ;
•    via des contrats long terme avec des fournisseurs locaux d’énergie verte, comme Engie et Orsted.
En complément, sur notre site d’Anvers en Belgique, nous travaillons avec Air Liquide au développement d’une installation de capture de CO2. Ce projet devrait permettre à terme de capturer 1 million de tonnes de CO2 sur les 3 millions émises actuellement par notre site chaque année.
D’innombrables chaînes de valeur ont pour origine nos vapocraqueurs, véritable cœur de l’industrie de la chimie, qui permettent de chauffer à 850 °C le naphta, matière première de la plupart des solutions que nous proposons. Ils fonctionnent actuellement aux énergies fossiles. Les électrifier permettra de réduire de 90 % les émissions de CO2 liées à leur activité. Nous travaillons avec Linde et Sabic sur un prototype déjà à l’essai sur notre site Verbund (plateforme) de Ludwigshafen.
Enfin, en parallèle de nos 6 Verbunds, comparables à des écosystèmes industriels reliant entre eux jusqu’à 200 unités de production, nous implantons nos usines au plus près des fournisseurs et clients de matières recyclées et solutions. A l’exemple des batteries, notre site de Schwarzheide à l’est de l’Allemagne s’inscrit dans l’écosystème local où figurent de nombreuses autres industries, notamment automobiles et batteries.
Quel que soit le site considéré, Verbund ou plateforme, la plupart des solutions mises en œuvre sont faites « sur mesure » et ne sont pas immédiatement reproductibles tant nos sites ont chacun leurs spécificités. La proximité géographique avec nos clients et fournisseurs est un élément clef pour le développement de boucles vertueuses.

Comment travaillez-vous avec vos fournisseurs et clients ?

La décarbonation de nos activités passe aussi par celle de notre chaîne de valeur, notamment amont. Nous avons ainsi travaillé pendant deux ans à l’estimation de l’empreinte carbone de 45 000 de nos produits que nous pouvons communiquer à nos clients, sur demande. Ces recherches ciblées sur nos fournisseurs ont permis d’évaluer qu’environ 70 % des émissions liées à notre portefeuille venaient de notre Scope 3 amont. Nous avons donc mis en place un CO2 Management Program visant à interroger, engager et accompagner les fournisseurs pour réduire leur empreinte carbone.
Au-delà, nous visons à accroître la durabilité de nos produits et la transparence de leur composition à travers notre méthode TripleS. Cette méthode de pilotage de l’innovation et de notre portefeuille de produits permet d’identifier, d’une part, les solutions vertueuses et contributrices d’un point de vue environnemental, et d’autre part, les solutions moins durables. Cela nous permet de travailler concrètement sur des axes d’amélioration, sur les aspects sanitaires, de biodiversité, de ressources autant que d’émissions carbone.
La chimie est à l’amont de la majorité des secteurs industriels et est donc un contributeur incontournable à leur transition écologique. Nous essayons d’accompagner nos clients dans leur transition environnementale, sur les émissions comme sur les autres enjeux.
Nous utilisons pour ce faire l’approche dite « mass balance » qui permet via un système d’allocation d’augmenter la part de nos matières premières bas-carbone (biomasse en particulier, mais aussi matières premières recyclées), de réduire nos intrants fossiles, et d’en faire bénéficier les clients qui souhaitent la valoriser.
Pour certaines activités, nous sommes passés d’un modèle transactionnel à un modèle de collaboration stratégique avec nos clients sur le long terme pour le développement de produits. Par exemple, nous avons plusieurs sites de production en France où nous travaillons avec les professionnels de la cosmétique sur des principes actifs plus durables, issus de produits biosourcés, et les accompagnons dans le développement de leurs produits et la valorisation auprès de leurs propres clients.
L’accompagnement de nos clients est une démarche fondamentale pour le déploiement de nos solutions durables. Ce processus peut réclamer du temps sur certains marchés, ou au contraire se faire très rapidement sur d’autres (comme en cosmétique).

Pouvez-vous préciser cela dans le secteur agricole dont vous êtes fournisseur ?

Nous étudions de nouveaux business models plus incitatifs à la réduction des impacts, notamment en passant à un modèle basé sur l’économie de la fonctionnalité. Dans le domaine de l’agriculture, nous avons développé la solution Xarvio qui passe d’une logique de vente de produits (engrais et produits phytosanitaires) à une logique de service. Grâce à l’utilisation d’images par satellite, couplées à des données météorologiques et de terrain, ce service de surveillance et de contrôle assisté par ordinateur permet d’optimiser les rendements des agriculteurs tout en identifiant les endroits nécessitant des traitements. Cette solution réduit ainsi efficacement l’utilisation d’intrants.
Nous nous sommes aussi fixé des objectifs de réduction de nos ventes de produits phytosanitaires conventionnels : les produits innovants et de biocontrôle devraient représenter 30 % de nos ventes d’ici à 2030, et nous visons une part de marché de 15 % sur le biocontrôle. C’est en ce sens que nous investissons 15 % de notre budget R&D dans le développement de ces solutions innovantes et durables.

Source : Lettre EpE n° 74 – octobre 2024

Question ouverte – Les entreprises peuvent-elles agir pour la sobriété ?

Le contexte de crise énergétique, depuis la guerre en Ukraine, a vu pour la première fois des chefs d’entreprise appeler à la sobriété [1]. Le sixième rapport du GIEC a également invité à considérer cette voie parmi les différents leviers d’atténuation du changement climatique et pose directement la question aux entreprises d’un engagement plus systématique et de long terme en faveur de la sobriété.

Celle-ci présente l’intérêt d’éviter les effets rebonds inévitablement générés par l’amélioration de l’efficacité énergétique, ou plus largement les progrès techniques. Elle constitue ainsi le complément indispensable des transformations en cours (rénovation, électrification, etc.), pour à la fois accélérer les réductions d’émissions à court terme et faciliter l’atteinte de l’objectif de neutralité à long terme.

Il est important que la sobriété ne soit pas perçue comme à la seule charge des consommateurs – elle peut au contraire être organisée collectivement pour devenir structurelle :

  • elle se construit par des investissements dans des infrastructures à même de faciliter les comportements individuels sobres (isolation des bâtiments, écomobilité, ville compacte…) ;
  • son potentiel est lié à la mise en œuvre de cadres de vie collective par les pouvoirs publics. Ces cadres sont d’autant mieux acceptés que leur nécessité est largement expliquée, débattue et comprise. Certains commencent à être opérationnels (marché européen du carbone en cours d’extension, zéro artificialisation nette, etc.) mais restent à la fois insuffisants et peu populaires ;
  • la sobriété matérielle devrait être compatible avec une amélioration du confort des modes de vie, ces derniers se fondant moins sur l’achat de produits et plus sur des services ;
  • elle ne concerne pas seulement les comportements des consommateurs, mais l’ensemble de la société et du monde économique.

Les décisions des pouvoirs publics viendront favoriser et accompagner la conception et le déploiement de nouvelles solutions. En effet, si, dans le secteur privé, la sobriété reste, pour l’heure, essentiellement appréhendée au niveau des opérations (bâtiments tertiaires, mobilité professionnelle, eau des processus), de nombreuses expérimentations voient des entreprises développer une nouvelle définition de leurs métiers à travers un large éventail d’innovations (produit/service, chaîne de valeur, marchés, etc.), dans ce qui s’apparente à une approche plus ambitieuse de l’écoconception élargie à l’ensemble de l’activité.

De telles démarches peuvent conduire à de nouveaux avantages compétitifs et ainsi rester compatibles avec un objectif de croissance économique. D’une part, elles permettent de proposer des offres différenciantes, à un coût économique optimisé et anticipant l’évolution des marchés du carbone. D’autre part, elles contribuent à la résilience des activités, dans un contexte de raréfaction et de conflits d’usages autour de certaines ressources clés pour la transition écologique (matériaux rares, matières recyclables, biomasse, etc.) ou de limitation progressive de certaines ressources, telles que le plastique pour les usages non essentiels. Mais de telles transformations sont complexes à mettre en œuvre : comment organiser, collectivement et sur le temps long, le passage à l’échelle de la sobriété, dans les entreprises, leur écosystème et plus largement dans la société ?

Par différents travaux en cours (publication à venir sur les modèles d’affaires sobres, dialogue avec leurs parties prenantes sur la sobriété, élaboration de scénarios de projection de la sobriété avec l’école de design STRATE), les entreprises membres d’EpE apporteront prochainement de premières réponses concrètes pour accélérer cette transformation.

[1] Voir aussi Institut Veolia, « Les défis sociaux et économiques de la sobriété », 2024, https://www.youtube.com/watch?v=Up3-a2TG_zs

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Ken Guiltaux, Responsable des pôles Climat et Achats

Source : Lettre EpE n° 74 – octobre 2024

Question ouverte – Comment faire de la transition écologique un sujet de dialogue social dans les entreprises ?

La transition écologique est source de transformations dans les activités des entreprises, impactant l’organisation du travail et les salariés. Elle est étroitement liée au changement climatique qui appelle d’autres transformations des conditions de travail. En réunissant les directions d’entreprises et les représentants des salariés, le dialogue social peut servir de levier pour aborder les sujets liés à ces transformations, d’où l’intérêt d’identifier et de surmonter les freins et de faire de la transition écologique un sujet central de ce dialogue.

Les travaux du Comité RH d’Entreprises pour l’Environnement (EpE), présidé depuis 2022 par Myriam El Khomri (Diot-Siaci), ont également mis en évidence les transformations et réflexions en cours au sein des entreprises. Ils s’ancrent dans un contexte de montée de la mobilisation :

  • en 2022, seuls 15 % des élus des comités sociaux et économiques (CSE) ont été formés aux sujets environnementaux et 10 % se sentaient compétents pour porter ces sujets (Baromètre Syndex- Ifop, 2022), alors que la loi Climat & Résilience d’août 2021 a élargi les attributions des CSE aux enjeux de la transition écologique ;
  • selon l’étude « Perception des salariés français sur la transition écologique et de ses enjeux de dialogue social » (Diot-Siaci Institute, IFOP – mai 2024), les CSE sont perçus comme le quatrième acteur prioritaire pour agir en faveur de la transition écologique dans l’entreprise, après les dirigeants, la direction RH/RSE, et les salariés eux-mêmes ;
  • signé en avril 2023, l’Accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et au dialogue social sert de référence aux De premiers outils existent, à destination des représentants (la boîte à outils de la CFDT, le Radar Travail et Environnement de la CGT…) ou des directions (Green RH par Axa Climate School) ;

Dans ce contexte, EpE, la CFDT et l’Observatoire du dialogue social ont coorganisé le colloque « Le dialogue social, accélérateur de la transition écologique », le 25 juin dernier, avec 22 autres partenaires (réseaux RH/RSE, organisations patronales et syndicales, institutionnels, experts et ONG). Plus de 250 personnes ont participé à cette demi-journée de rencontres et d’échanges avec pour objectif d’engager largement tous les acteurs de l’entreprise et de répondre aux attentes des salariés.

Les plénières du colloque se sont attelées à visibiliser et rendre opérationnel le dialogue social pour anticiper les transformations et favoriser l’acceptation sociale des changements. Trois ateliers ont traité de l’adaptation des conditions de travail, de l’attractivité des métiers de la transition écologique et des évolutions à prévoir en matière d’emplois et de compétences dans tous les métiers.

Les débats ont mis en exergue différents enjeux. Avec l’augmentation des épisodes climatiques extrêmes les mesures d’adaptation doivent assurer des conditions de travail vivables ; cela suppose d’identifier les risques professionnels, d’adapter les horaires de travail… Pour répondre aux besoins de la planification écologique, les métiers et les compétences évolueront. Présent au colloque, Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique, a rappelé que plus de 2,8 millions de personnes devront être formées d’ici 2030. L’étude ETE 2030 d’EpE souligne que certains métiers de la transition sont déjà en tension (bâtiment, agriculture…) du fait du manque de main-d’œuvre formée ou des conditions propres à certains emplois concernés (précarité, conditions de travail parfois contraignantes).

Ainsi, anticiper les formations nécessaires aux emplois de demain et attirer de nouveaux professionnels deviennent des enjeux majeurs. Loin d’être un défi hors de portée, les transformations sont aussi l’opportunité d’enrichir les compétences et d’améliorer la qualité de l’emploi ainsi que le sens du travail de tous les salariés.

Systématiser l’intégration de la transition écologique au dialogue social est possible en accélérant d’abord la conscience de l’enjeu, puis les formations dédiées pour l’ensemble des partenaires sociaux. Donner les outils pour prendre en main ces sujets, dans le respect des institutions existantes de ce dialogue, contribuera à massifier progressivement la dynamique du dialogue entre partenaires sociaux, au-delà des négociations obligatoires.

Par les transformations qu’elle apporte, la transition écologique devient un sujet de dynamisation du dialogue social et de l’engagement syndical. Réciproquement, le dialogue social est une opportunité pour accélérer la transition écologique au sein des entreprises.

La mobilisation des 22 partenaires et la présence de nombreux participants ont confirmé l’importance de travailler collectivement. Les intervenants ont insisté sur l’intérêt de poursuivre l’intégration de la transition écologique au dialogue social à l’échelle des entreprises, des branches et des territoires. Les partenaires du colloque et le Comité RH d’EpE y contribueront.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Alicia Lachaise, Responsable Océan, Affaires Publiques et Ressources Humaines

Source : La Lettre d’EpE – n° 73 – juillet 2024

Trois questions à Alessandro Dazza, Directeur général d’Imerys

Quelles activités d’Imerys contribuent à la transition écologique, et comment réduisez- vous leur empreinte ?

Le groupe Imerys fournit des minéraux pour l’industrie avec trois domaines d’expertise :

  • les minéraux de spécialités : ils peuvent être utilisés pour des usages extrêmement divers tels que le kaolin pour la céramique, la diatomite pour la filtration ou encore la perlite pour remplacer les microbilles de plastique en cosmétique ;
  • les minéraux résistant à des conditions extrêmes : réfractaires, abrasifs, mortiers de construction ;
  • les minéraux indispensables à la transition énergétique : le graphite et le noir de carbone utilisés dans certaines batteries Li-ion ou le quartz de haute pureté pour le photovoltaïque et les semi-conducteurs. Imerys développe également deux projets d’exploitation de lithium pour les batteries de véhicules électriques, en France dans l’Allier et dans le sud de la Grande-Bretagne. Ces projets permettraient d’équiper 1,2 million de voitures électriques par an.

En 2023, le groupe Imerys a réalisé un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros, réalisé pour 47 % en Europe, 33 % aux États-Unis et 20 % en Asie. L’activité du groupe s’appuie sur 86 sites d’extraction parmi nos 179 sites industriels.

Nous répondons aux exigences réglementaires locales de chaque pays où nous sommes implantés. Afin d’harmoniser les différentes obligations entre nos sites, nous avons des politiques internes ambitieuses pour réduire nos impacts environnementaux. Elles portent notamment sur nos émissions, sur la gestion de la ressource en eau, sur la biodiversité et la réhabilitation des sites. Avant même son ouverture, chaque site fait l’objet d’une étude d’impact environnemental qui a pour objectif d’éviter, réduire et compenser nos impacts. La préservation de la biodiversité est au cœur de notre stratégie. Nous avons, par exemple, un partenariat scientifique depuis 2018 avec le Muséum national d’Histoire naturelle en France afin d’appuyer notre programme de préservation de la biodiversité.

Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, nous actionnons plusieurs leviers complémentaires : améliorer notre efficacité énergétique, utiliser de la biomasse comme combustible, électrifier nos procédés, acheter de l’électricité d’origine renouvelable ; à court terme, notre plus gros défi est de convertir à l’électricité ou à la biomasse les fours et les sécheurs que nous utilisons dans nos procédés de fabrication. À moyen terme, nous envisageons un recours aux technologies de capture et stockage du CO2 après 2030 sur quelques applications, mais nous sommes encore prudents quant à la faisabilité technique et économique de ces innovations technologiques.

Bien sûr, ces programmes environnementaux nécessitent des investissements conséquents. La transition écologique a un coût. Tout comme nos clients, nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de produit durable sans entreprise responsable.

Est-il encore possible d’ouvrir une mine en France ?

Nous en sommes convaincus ! EMILI, notre projet de mine de lithium à Beauvoir en Auvergne, vient d’ailleurs d’être reconnu comme « projet d’intérêt national majeur ». Ce projet d’exploitation d’un gisement très riche situé sous une carrière existante de kaolin répond à de hauts standards environnementaux :

  • extraction et broyage 100 % en souterrain (ni poussière, ni bruit, moins d’impact sur la biodiversité…) ;
  • puis transport par canalisation vers une station de chargement avant d’emprunter le rail vers l’usine de concentration située à Montluçon ;
  • les co-produits seront valorisés. Le lithium produit à Beauvoir servira les filières françaises et européennes.

Le projet est bien reçu car tous les acteurs sont conscients des enjeux de transition écologique et de souveraineté ; les riverains ont aussi pu constater dans la durée notre capacité à opérer la carrière existante de manière responsable. Nous répondons aux questions soulevées, participons activement au dispositif de débat public géré par la Commission Nationale du Débat Public, dispositif unique à la France et très exigeant, avec un dossier très détaillé et des débats hebdomadaires sur tous les aspects du projet.

Nous avons l’impression, à travers ces débats, que le public comprend que les minéraux sont essentiels pour la transition et que la perception de la mine change. L’importance de la réglementation, des standards tels que IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), des contrôles et la transparence aident à ce changement d’image.

Comment accroître la circularité de vos activités ? Avez-vous la capacité de récupérer des minéraux en dehors de mines ?

La circularité des minéraux est un sujet complexe et systémique. Nous l’étudions depuis plusieurs années afin d’identifier les options techniquement et économiquement pertinentes. Trois pistes semblent aujourd’hui viables :

  1. Valoriser les stériles et résidus miniers : il y a un intérêt chez certains de nos clients et nous étudions avec eux comment adapter leurs cahiers des charges pour intégrer des minéraux non utilisés aujourd’hui. Nous proposons déjà plusieurs gammes de produits qui suivent ces principes, comme les carbonates de calcium Remined aux États-Unis ;
  2. Introduire des déchets recyclés pour compléter nos minéraux vierges : pour beaucoup de nos produits, l’usage ne modifie pas leurs propriétés. En revanche, aujourd’hui, le coût de la récupération et du recyclage reste encore élevé. Une incitation réglementaire comme, par exemple, une obligation d’incorporation de matériaux recyclés pourrait contribuer à développer cet Le Critical Raw Materials Act, qui prévoit 10 % de matériaux locaux et 25 % de matériaux recyclés, va dans ce sens ;
  3. Faire en sorte que nos produits augmentent la durée de vie des produits des clients : c’est le cas notamment de nos mortiers de spécialités, qui permettent par exemple de doubler la durée de vie d’un réseau d’assainissement.

Certains investissements récents d’Imerys, comme celui dans une structure commune avec la start-up Seitiss, vont dans ce sens afin d’offrir un plus large éventail de solutions circulaires à nos clients.

Source : La Lettre d’EpE – n° 73 – juillet 2024

Etape 2030 de la transition écologique

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ETE 2030 – Etape 2030 de la transition écologique est une réponse à la question des actions qu’il faut avoir menées d’ici 2030 pour mettre la France sur une trajectoire crédible de transition écologique, en cohérence avec les engagements français et européens pour le climat et la biodiversité et avec la planification écologique menée par le gouvernement.

Quelles priorités mettre en œuvre ? Quels leviers actionner ? Comment conduire ensemble cette accélération de la transition écologique ? Lors de l’événement de lancement de l’étude, une quinzaine de CEO d’entreprises membres d’EpE ont présenté les principales réponses qu’apporte l’étude à ces questions.

Construire une vision partagée de la transition

Estelle Brachlianoff, Veolia
Pour la « sobriété » qui est une des principales réponses de l’étude, les Anglais emploient le mot « sufficiency » qui signifie utiliser juste ce qu’il faut, et pas plus. En japonais, c’est « shibui », que j’aime beaucoup parce que c’est un peu l’élégance de la forme juste qui ne consomme pas trop. […] Et donc, si on arrive à trouver non pas seulement le juste ce qu’il faut, mais qu’on y met un petit peu d’élégance, voire même de l’esthétique, c’est dans cette direction que j’aimerais qu’on creuse l’idée de sobriété. Les Français ont besoin qu’on leur décrive le monde vers lequel on va […], que les solutions soient là, que les efforts soient équitablement répartis, que ça serve à quelque chose de tracer un avenir désirable.

François Clément-Grandcourt, Bic Briquets
L’écoconception, les matières, la circularité… nos travaux, qui ont été faits avec des chercheurs internes et externes, nous amènent à une conclusion qui est toute simple : c’est possible. Il semblerait qu’il y ait un ensemble de règles relativement simples qui aiderait à faire cette transition. […]. Ça ne veut pas dire que ce soit facile, notamment ça coûte plus cher, mais c’est possible.

Boutaïna Araki, Cityz Media
Il faut qu’on donne envie aux gens de changer, et la publicité, de ce point de vue là, est très importante parce qu’elle aide à rendre sexy une consommation plus raisonnée. Raconter une autre histoire, développer des récits qui seraient compatibles avec les limites de la planète. Il faut donner aux gens des solutions faciles et qui fassent envie.

Construire des solutions sectorielles répondant à tous les enjeux

Thomas Buberl, AXA
Il faut comparer les coûts de l’inaction par rapport à ceux de la transition. Et rapidement, nous constatons que nous n’avons pas d’autre choix que de faire le pari de la transition. Chez AXA, par exemple, nous sortons progressivement du charbon en transférant ces montants vers des investissements verts. A l’époque, ce n’était pas si évident, car il fallait compenser les rendements. Aujourd’hui, ce n’est plus un sujet : les investissements verts sont au même niveau, voire plus attractifs.

Thierry Blandinières, InVivo
Les enjeux sont immenses pour l’agriculture : il faut résoudre l’équation de produire plus, mieux et durable. L’un de ces enjeux se situe dans les sols agricoles et se joue particulièrement au niveau des céréales. En pratiquant une agriculture dite régénérative des sols, les céréales françaises et européennes deviendront des puits de carbone, et donc une source de revenu complémentaire pour l’agriculteur. Si l’on veut changer d’alimentation il faut changer de modèle, et pour financer cette transition il faudra aussi qu’il y ait des clients qui acceptent de payer ce premium.

Gilles Bloch, MNHN
C’est très rassurant de constater que les entreprises se tournent vers la science. Le vivant décroît à une vitesse impressionnante et il ne faut pas attendre la génération d’après pour agir ; il y a aussi une perte de proximité avec nos racines animales et une perte de connexion avec le vivant. Il est dès lors impératif que les entreprises se saisissent de ces enjeux si l’on veut vraiment faire bouger les lignes et protéger la biodiversité des menaces qui pèsent sur elle.

Benoit Bazin, Saint-Gobain
Il y a 35 millions de bâtiments en France, dont la plupart seront encore là en 2050. Donc, il faut les rénover et pour ça, il faut de la visibilité, de la stabilité dans le temps des dispositifs réglementaires et financiers. […]. Au-delà, il faut flécher les aides sur les bâtiments les moins performants, ce qu’on appelle les bâtiments F et G, et faciliter tout le processus, créer une sorte de Doctolib de la rénovation énergétique. L’exemplarité doit aussi venir de l’Etat sur les bâtiments publics et des entreprises sur leurs propres bâtiments. Tout ceci est possible, car les solutions techniques existent.

Sébastien Petithuguenin, Paprec
Nous avons deux piliers pour réaliser l’économie circulaire des matériaux. Tout d’abord, le recyclage, qui implique l’extraction des matières premières contenues dans les déchets, et ensuite la sobriété. Le recyclage permet des économies massives de CO2 et les obligations d’incorporation de matières issues du recyclage accélèrent la transition vers une économie circulaire. La grande transformation industrielle passe également par l’éco-conception, en envisageant dès la conception la fin de vie du produit afin d’optimiser le processus de recyclage. Certains de nos partenaires industriels ont déjà relevé ce défi avec succès !

Mobiliser l’ensemble des acteurs

Philippe Maillard, Apave
Pour réussir cette transition, il faut des ressources humaines en qualité et en quantité. Il faut essayer de rassembler les énergies sur de nouvelles compétences et peut-être de bousculer un peu les choses établies. Dans le dialogue social, il faut que les entreprises soient capables de montrer le sens associé à ces métiers de la transition.

Patrick Koller, Forvia
En 2030, notre objectif, c’est de réduire le scope trois de 45 % et d’atteindre la neutralité carbone qualifiée SBTI en 2045. Mais 2030, pour nous, c’est deux générations de véhicules, donc, on n’a pas beaucoup de temps devant nous pour réussir à faire cela.

Thierry Beaudet, CESE
Il serait illusoire de penser la transition écologique comme une simple affaire technique. Se pose la question de la supportabilité pour nos concitoyens et de l’acceptabilité. Il faut […] chercher à aligner le plus complètement possible toutes les parties prenantes de la société. Les questions évoquées posent au fond des questions de gouvernance : de nouvelles modalités de fonctionnement de notre démocratie.

Jean-Marc Ollagnier, Accenture
Cette transition est complexe, car nous devons continuellement naviguer entre différents horizons géographiques et temporels : entre les impératifs globaux et locaux, car ce qui se décide au niveau national peut avoir des impacts à l’échelle mondiale et vice versa, et entre le court et le long terme, car les décisions doivent être prises aujourd’hui avec une vision à plus longue échéance. Etant donné les investissements colossaux nécessaires, nous avons besoin de plus de clarté et de stabilité sur le cadre réglementaire, afin de sécuriser et accélérer nos financements, malgré la volatilité de l’environnement macroéconomique et géopolitique.

Catherine MacGregor, Engie
Notre vision partagée de la transition énergétique repose sur la conviction qu’une transition verte accessible est possible et que les coûts peuvent être maîtrisés. Aujourd’hui, les solutions de décarbonation existent, elles sont matures et la moitié de ces solutions sont déjà disponibles à des prix compétitifs. Nous avons un devoir collectif de construire le système énergétique de demain, flexible, abordable et plus souverain ; et pour cela chaque effort et chaque investissement comptent.

François Petry (Holcim France), Laurent Bataille (Schneider Electric), Pascal Imbert (Wavestone), Jan Schouwenaar (Primagaz), Marie-Claire Daveu (Kering) et les dirigeants ci-dessus ont ensuite présenté les engagements volontaires des entreprises sur cinq initiatives existantes et trois nouvelles.

Patrick Pouyanné, TotalEnergies, a conclu l’événement :
Au-delà de nos collaborateurs, il faut aller vers nos autres parties prenantes, parce que, finalement, le succès de cette transition écologique, il est dans les entreprises, il est aussi, comme on l’a dit à plusieurs reprises, avec les pouvoirs publics, avec les citoyens. Les mots clés que sont sobriété, circularité, vivant sont les bons. Ce n’est pas la fin d’une étude, mais le début d’un engagement collectif : construire ensemble une nouvelle prospérité compatible avec les limites de la planète.


Question ouverte – Que faut-il avoir fait d’ici 2030 pour être sur une trajectoire de transition écologique crédible ?

Dégradation des écosystèmes et des services qu’ils procurent, réduction des émissions et lutte contre les effets du changement climatique, pol­lutions multiples, mais aussi précarité énergé­tique, souveraineté industrielle, équité face aux efforts de transition… En quelques années, les défis auxquels la transition écologique doit appor­ter des réponses se sont multipliés : au-delà de la neutralité carbone à l’horizon 2050, objectif largement partagé, d’autres priorités s’imposent y compris dans les grands choix de la transition. En travaillant ensemble à l’étude Etape 2030 de la Transition Écologique – ETE 2030, les membres d’EpE ont cherché à répondre à cette question : que faut-il faire d’ici 2030 pour mettre la France sur une trajectoire crédible de transi­tion écologique ?

La présentation des résultats le 12 décembre dernier par une quinzaine de CEO d’entreprises membres d’EpE a montré le caractère inédit de ces travaux. Le premier succès a été de réunir pour la piloter une trentaine de grandes entre­prises de différents secteurs de l’économie, lui conférant ainsi une vision transverse et un ancrage fort dans l’économie réelle. La portée de l’étude s’étend au-delà de ce collectif, puisque la tribune qui en est inspirée a été signée par 60 dirigeants de grands groupes.

Révélatrices de l’ampleur des défis, les priorités proposées le sont non seulement aux acteurs économiques mais aussi aux pouvoirs publics et aux citoyens, avec lesquels l’action conjointe est une clé du succès.

La méthode de travail suivie est également origi­nale. Elle s’est appuyée sur la représentation du « Donut » pour mettre en évidence les limites de capacité de la planète ainsi que les besoins socio-économiques essentiels de tous. L’étude est ainsi en rupture avec le mythe de la croissance matérielle infinie et appelle à l’établissement de modes de gouvernance permettant de gérer de nouvelles raretés, notamment par la négociation de plafonds d’usages de certaines ressources. Une sobriété permet alors la nécessaire décrois­sance de l’empreinte matérielle de notre société.

Cette analyse aboutit à élaborer un véritable « cahier des charges de la transition écolo­gique » dépassant le sujet du climat et intégrant les différents enjeux. Réduire drastiquement les émissions est nécessaire, mais pas suffisant. L’anticipation d’une énergie plus chère et l’ins­cription dans les infrastructures d’une sobriété de long terme conduisent à modifier les modes de vie individuels et collectifs. L’étude propose de rechercher une nouvelle prospérité collective, autour de nouveaux imaginaires en rupture avec celui du « bonheur par la consommation » et plu­tôt centrés sur le bien-être, les liens humains, la circularité de l’économie et une nouvelle relation au vivant.

ETE 2030 inscrit ainsi la transition écologique dans une perspective d’évolution du contrat social : la transition écologique va demander des efforts aux citoyens, quelles contreparties pour eux ? Equité accrue et inégalités réduites, notions inhabituelles dans la parole des acteurs écono­miques, deviennent des conditions du succès de la transition et font partie des priorités de change­ment concret d’ici 2030.

Le succès de la transformation ainsi esquissée suppose que les différents acteurs s’approprient et partagent cette vision qui rejoint largement, dans son contenu sinon dans sa méthode, celle de la planification écologique. Pour les entreprises, le dialogue avec les actionnaires, les clients, les pouvoirs publics et les autres parties prenantes sur cette transformation est une condition de son succès ; les collaborateurs des entreprises sont parmi les premières parties prenantes concer­nées et les entreprises d’EpE ont pour un certain nombre pris le 12 décembre des engagements concrets pour les associer à la réalisation concrète de cette transition. C’est pour susciter ce large engagement des personnes que l’étude com­prend aussi un ensemble de récits concrets de transitions écologiques personnelles, « Le champ des pos­sibles ». La transition est l’affaire de tous, à chacun de construire la sienne dans les différentes parties de sa vie.

David Laurent, Directeur de la Transformation écologique
Claire Tutenuit, Déléguée générale

Source : La Lettre d’EpE – n° 71 – janvier 2024