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Trois questions à Philippe Maillard, Directeur général du groupe APAVE

Comment le groupe APAVE contribue-t-il par ses métiers à la transition écologique ?

Le groupe APAVE est né en 1867 avec la révolution industrielle avec deux missions : assurer que les machines fonctionnent, et que l’activité industrielle, protège la santé et la sécurité des travailleurs. Ces missions se sont aussitôt élargies à la maîtrise des risques industriels, intégrant la sécurité électrique au début du 20e siècle, l’environnement dans les années 1970, et la cybersécurité depuis 2000. Les associations régionales Apave se sont développées au fil des années, pour ensuite être fédérées et aboutir à la construction d’un seul groupe en 2011. Avec aujourd’hui 13 000 collaborateurs, dont 9 000 ingénieurs et techniciens, le groupe exerce dans plus de 50 pays pour des clients qui sont à 75 % français.

Depuis 2020 le groupe s’est doté d’un plan stratégique ambitieux en termes de croissance et de développement international, et s’est donné les moyens financiers de cette stratégie avec l’entrée au capital (36 %) du fonds d’investissement PAI Partners. L’actionnaire principal du groupe Apave reste une association (le Gapave), en cours de transformation en fondation reconnue d’utilité publique.

Apave réalise un peu plus d’1 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans cinq métiers : l’inspection réglementaire, qui représente près des deux tiers de l’activité, la formation professionnelle (400 000 stagiaires habilités chaque année), les essais et mesures, la certification et la labellisation et, enfin, le conseil et l’accompagnement technique. Tous ces métiers sont nécessaires pour accompagner la transition écologique des clients, des PME aux grands groupes. Le groupe a d’ailleurs développé une gamme de solutions dans le domaine ESG pour accompagner les clients dans la réussite de leur propre transformation écologique (aide à la certification des systèmes de management environnemental, préparation des dossiers d’autorisation des infrastructures énergétiques, analyse de sols et de biodiversité, développement de labels…).

En matière énergétique, les services proposés sont vastes : réalisation de diagnostics de performance énergétique ou d’analyses de cycle de vie, vérification des déclarations d’émissions de gaz à effet de serre.

L’activité ESG représente environ un quart de l’activité totale et la moitié est dédiée à l’environnement. Nous investissons activement pour en accélérer le développement, forts d’une conviction : pas de transitions écologiques et énergétiques réussies et pérennes, sans confiance et sans sécurité.

 

Quels sont les nouveaux risques auxquels les industriels sont confrontés ?

La prise en compte des risques liés au changement climatique est, pour nombre d’industriels, une nouvelle dimension. Prenons un exemple : le phénomène de gonflement et retrait des argiles génère un vieillissement accéléré d’infrastructures, de ponts et d’ouvrages d’art. La sécurité de nos infrastructures était déjà un chantier fondamental ; ce phénomène n’en fait qu’accélérer la nécessité et l’urgence d’agir. Pour en gérer le risque et anticiper les défaillances, il est possible d’équiper les ouvrages de capteurs qui mesurent en continu l’évolution de l’état structurel.

Plus largement, l’arrivée de nouvelles technologies dans les industries crée de nouveaux risques. Des risques qui doivent être anticipés et gérés. La formation des salariés est un élément essentiel. Nous constatons que la demande en formations spécifiques habilitantes augmente en lien avec la création de nouvelles lignes de métiers ou de nouveaux modes de production des clients.

Dernier risque majeur : les risques numériques qui font partie de la palette d’expertises d’Apave. Un virage que nous avons pris pour répondre aux demandes clients. Audits de vulnérabilité, tests d’intrusion, formation des équipes, certification… autant de possibilités offertes aux entreprises pour leur permettre de réduire leurs risques face à cette menace majeure.

 

Comment conduisez-vous votre propre transition écologique ?

Nous avons décidé de réaliser notre bilan carbone 2022 avec une approche d’exemplarité méthodologique et d’exhaustivité. Le groupe émet 106 000 teqCO2, dont les trois quarts relèvent du scope 3. Nous venons de terminer notre feuille de route qui doit nous permettre de réduire cette empreinte carbone : être ambitieux, tout en restant réalistes.

Le réalisme de nos actions est important pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Prenons l’exemple des véhicules électriques : nous avons aujourd’hui un parc de 6 000 véhicules que nous avons entrepris de « verdir ». Au-delà du coût, nous faisons face à des enjeux structurels : la capacité de recharge chez les salariés, la disponibilité de véhicules électriques – il y a aujourd’hui des délais de 8 à 12 mois –, la couverture territoriale des bornes et les modalités contractuelles : notre parc est en leasing de 4 ans et se renouvelle donc progressivement. Notre objectif est de réduire notre empreinte de 12 % en 2030 par rapport à 2022.

Pour agir, il faut engager. Nous avons décidé de former 100 % de nos salariés sur ces deux enjeux : changement climatique et transitions durables, ainsi qu’à la stratégie du groupe.

Enfin, nous faisons un gros effort pour améliorer la sobriété de notre parc immobilier qui est ancien et très diffus compte tenu de l’histoire du groupe.

Source : La Lettre d’EpE – n° 70 – octobre 2023

Question ouverte – Agir autant pour la nature et pour le climat ?

La communauté scientifique constate que la dégradation de la nature continue de s’accélérer du fait des impacts des activités humaines, au point de mériter l’appellation de sixième extinction de masse. Les premières perturbations induites affectent directement la société et le fonctionnement des entreprises ; plusieurs institutions anticipent une fragilisation du système financier.

Pour dessiner des trajectoires de restauration de la nature à l’échelle mondiale, l’accord de Kunming-Montréal adopté l’an dernier reconnaît pour la première fois le rôle des entreprises et les appelle d’abord à reconnaître et publier leurs impacts et leurs risques, puis à intégrer la préservation et la restauration de la biodiversité à leurs activités.

Le Dialogue Entreprise – Finance (DEFi) organisé par EpE et l’Institut de la Finance Durable a organisé une réflexion de place et confirmé la possibilité d’agir dès maintenant. La première version opérationnelle du cadre de reporting préparée par la Taskforce on Nature-Related Financial Disclosures pose d’ailleurs les bases d’une compréhension mutuelle entre entreprises et communauté financière et constitue un premier outil pour réorienter à grande échelle les flux de capitaux vers des investissements meilleurs pour la biodiversité.

Le besoin de mieux caractériser les modèles d’affaires favorables a d’ailleurs conduit la Commission Biodiversité d’EpE à recenser et analyser les pratiques de ses membres de ce point de vue. Fondée sur une soixantaine de témoignages portant sur l’ensemble des chaînes de valeur, la publication « Biodiversité : valoriser pour agir » montre de nombreuses réussites. Plusieurs exemples suggèrent que plus ces actions sont définies localement, prenant en compte les multiples facettes et dimensions du vivant à travers une diversité d’indicateurs et impliquant une diversité de parties prenantes, plus le résultat est convaincant.

À l’image du fonctionnement du dispositif act4nature international, la méthode consistant à construire collectivement et progressivement des trajectoires d’amélioration et des objectifs pragmatiques et proches du terrain semble permettre d’apprendre ensemble au fur et à mesure de l’action, même en l’absence de trajectoires développées par l’IPBES similaires à celles du GIEC pour le climat. L’IPBES affirme d’ailleurs déjà que ces méthodes fondées sur des processus délibératifs pour juger conjointement des valeurs permettent d’intégrer une représentation plus fiable de la nature dans les décisions des entreprises. Elles conduisent en général à préconiser des solutions fondées sur une sobriété pérenne, notamment en matières premières vivantes.

L’évolution de la relation que les humains entretiennent avec la nature constitue un autre ensemble de solutions. Il semble qu’en matière de biodiversité, le monde économique doive accepter « d’opérer à la manière non d’un ingénieur, mais d’un bricoleur[i] », et que c’est ainsi qu’il sera possible de restaurer la nature et de rétablir ses fonctionnalités pour maintenir l’habitabilité de la Terre.

Dans la transformation écologique dont chaque acteur reconnaît aujourd’hui l’urgence, les entreprises ne mettent pas encore la nature au même rang que le climat, sans doute parce que le fonctionnement du monde économique actuel repose en fait largement sur des approches d’ingénieurs. Absence d’indicateurs uniques, difficulté à définir des modèles d’affaires valables en tout lieu, subjectivité des jugements sur les risques, les impacts et les priorités, caractère diffus des bénéficiaires des services rendus par la nature, approches expérimentales peu reproductibles… sont autant d’obstacles apparents, mais laissent de vastes possibilités d’actions aux entreprises.

Le monde financier est un moteur puissant de la décarbonation ; sous sa pression et dans le cadre du dialogue actionnarial, ce sujet est aujourd’hui au cœur des stratégies et des process des entreprises. Le risque est grand que cela ne se fasse en partie avec une pression accrue sur les sols et les ressources de la biosphère. Comment mettre cette puissance également au service de la restauration de la nature ? Les membres d’EpE, financiers et entreprises du monde physique, continuent à y travailler ensemble.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Benoît Galaup, Responsable Biodiversité, Finance et Numérique

[i] Citation de François Jacob (1981) utilisée par Tatiana Giraud lors de sa leçon inaugurale au Collège de France (2022) : « Dynamique de la biodiversité et évolution : formation des espèces, domestication et adaptation ».

Source : La Lettre d’EpE – n° 70 – octobre 2023

Question ouverte – Eau et adaptation : quel rôle des entreprises ?

Les phénomènes climatiques extrêmes des derniers mois, notamment les sécheresses et inondations, rappellent le caractère concret et massif des risques associés au dérèglement climatique. L’ONU a ainsi estimé qu’un tiers de la population mondiale sera concerné par une situation de stress hydrique à l’horizon 2025, quels que soient les efforts de réduction des émissions faits d’ici là.

La question de l’eau est et restera donc une variable critique pour de nombreuses activi­tés humaines dont l’agriculture et l’industrie (respectivement 70 % et 22 % des prélève­ments mondiaux). Inondations ou sécheresses peuvent ainsi générer d’importantes pertes économiques par arrêt d’activités, voire la destruction de récoltes, productions et équi­pements. L’eau constitue également une res­source essentielle de la transition écologique : les forêts en ont besoin pour pleinement jouer leur rôle de puits de carbone ; la sortie des énergies fossiles appelle à une montée en puis­sance de la biomasse, dont la production est consommatrice d’eau ; enfin, centrales hydroélectriques et nucléaires voient déjà leur capa­cité de production affectée en période de stress hydrique.

La disponibilité et la qualité de l’eau impactent également la biodiversité : les rejets du refroi­dissement des centrales électriques dans les cours d’eau perturbent les écosystèmes si leur température s’avère trop élevée par rapport au débit du cours d’eau ; de même les rejets des usines de dessalement de l’eau de mer désoxy­gènent les milieux marins par augmentation de la salinité ; les substances véhiculées par les eaux usées ainsi que les rejets de l’éle­vage intensif participent à l’eutrophisation des masses d’eau ; enfin, la pollution des sols générée par l’industrie et l’agriculture intensive constitue via les eaux souterraines ou de surface une cause majeure de perte de biodiversité. Or, celle-ci fournit de nombreuses solutions autant pour réguler la qualité de l’eau que pour contri­buer à l’adaptation au changement climatique et son atténuation.

En France, la gouvernance locale de l’eau par bassin, à laquelle les entreprises contribuent pleinement, répond à ces différents enjeux. Son approche de plus en plus systémique tient compte des cycles de l’eau. Elle intègre qua­lité et disponibilité de l’eau, préservation de la biodiversité et désormais adaptation avec l’élaboration de trajectoires de sobriété par type d’usage, dont les usages industriels et de refroidissement.

Les entreprises sont donc appelées à faire évoluer leurs pratiques et réduire leurs im­pacts sur l’eau et donc les risques de tension, d’autant plus qu’elles seront généralement moins prioritaires que les consommateurs et l’agriculture dans la hiérarchie des usages. Des investissements sont aujourd’hui réalisés dans le recyclage, la réutilisation en circuit fermé ou encore la récupération de l’eau de pluie sur les sites, dans une démarche double de réduction des usages et de gestion des risques liés à l’eau sur les sites et dans les chaînes de valeur. Le concept de « net-zero water » commence à émerger comme un objectif opérationnel.

La question de l’adaptation, longtemps écartée des priorités de la transition écologique, tend donc à être réintégrée dans les réflexions straté­giques et actions de court terme des entreprises, notamment à travers l’enjeu de l’eau. Le risque demeure toutefois de mettre en œuvre des solu­tions mal adaptées, adaptations à court terme qui accroissent les risques à long terme ; c’est par exemple le cas du dessalement pourtant parfois incontournable. Comment donc allier approche technologique, solutions d’adaptation fondées sur la nature et sobriété ?

Une prochaine publication en collaboration entre EpE, l’ADEME et l’ONERC portera sur l’adaptation des entreprises au changement climatique et apportera de premières réponses concrètes sur le rôle des entreprises.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Ken Guiltaux, Responsable Climat et Achats

Source : La Lettre d’EpE – n° 69 – juillet 2023

Trois questions à Estelle Brachlianoff, Directrice générale de Veolia

Quels sont les enjeux principaux de Veolia ?

Nous répondons à trois enjeux majeurs : la décarbo­nation, l’économie et la régénération des ressources, et la dépollution, à travers trois activités à peu près équivalentes en taille : la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Ces trois activités, dont le chiffre d’affaires total s’élève à 43 milliards d’euros, sont toutes en forte croissance depuis 10 ans.

Le cœur de notre métier est de proposer à nos clients des solutions pour la transformation écolo­gique dans ces trois domaines. Même s’il y a encore beaucoup à innover, nous sommes déjà en mesure de déployer des solutions efficaces, réplicables et abordables. Cette démarche, exprimée dans notre raison d’être, a été fondamentale pour réussir rapi­dement le rapprochement entre Veolia et Suez : le succès de cette opération s’explique notamment par la culture commune sur ces trois enjeux entre les équipes de Veolia et celles issues de Suez.

Quand notre groupe croît, son empreinte environne­mentale consolidée avec celle de ses clients décroît : nous sommes donc « décarbonants », plus que seu­lement décarbonés. De la même façon, notre métier est d’aider à réduire les prélèvements d’eau dans les nappes phréatiques et rivières pour alimenter les villes et les industries, et de gérer cette ressource avec un haut niveau de performance : ainsi, sur les 3 dernières années, nous avons fait économiser 320 millions m3 d’eau à nos clients. Nous émettons des gaz à effet de serre à travers les activités essen­tielles que nous menons comme le traitement des déchets, mais nous assumons le choix de transfor­mer les centrales à charbon que nous gérons en Europe centrale et orientale, afin de les alimenter avec des énergies moins carbonées ou renouve­lables, plutôt que de les céder : nos investissements nous ont permis de réduire notre intensité carbone de 30 % en 4 ans, et les solutions que nous déployons ont fait éviter à nos clients l’émission de 14 millions de tonnes de CO2 en 2022. Nous mesurons cette transformation écologique par la définition et le suivi de trajectoires de progrès avec nos clients, et par notre système de mesure de la « performance plurielle » qui agrège 18 indicateurs, dont 14 extra-financiers (innovation, impact local dans les terri­toires, performance sociale…).

Loin de les exclure par principe, nous travaillons également avec les plus gros pollueurs ou émet­teurs de CO2, afin de réduire drastiquement leur impact environnemental. Cela peut heurter les positions radicales de certaines personnes ou les réflexes de facilité d’autres acteurs qui trouvent plus simple de ne pas travailler avec eux.

Comment voyez-vous l’évolution vers une économie circulaire ?

Nous le voyons dans les secteurs de l’eau et des déchets. La sécheresse de 2022 a accéléré la prise de conscience de tous sur l’eau et la menace de pé­nurie hydrique est désormais réelle dans de nom­breuses régions du monde. Cette situation exige d’abord une réflexion collective et structurelle sur le modèle agricole pour le rendre plus économe en eau – l’agriculture étant le premier consommateur d’eau -, et la mobilisation de toutes les solutions pos­sibles. Nous pouvons encore réduire les pertes dans les réseaux publics d’eau potable, déjà limitées à 20 % en France, et investir pour diminuer les consommations d’eau, en particulier celles prove­nant des industriels. La réutilisation des eaux usées vient ensuite : Los Angeles vise 100 % de réutilisation en 2030. Nous travaillons sur le concept de Net Zéro Eau, pour parvenir à une empreinte eau nulle, grâce à la baisse des prélèvements, l’optimisation des usages et l’augmentation du recyclage des eaux usées. Nous nous trouvons au début de cette dé­marche, mais il existe déjà de splendides réalisa­tions : un de nos clients, qui exploite une mine de lithium en Australie, a réussi à doubler sa production sans accroître ses prélèvements d’eau.

Nous faisons de même pour certains déchets : Solvay a réduit de 60 % les émissions de gaz à effet de serre de son usine de Dombasle, en pas­sant des hydrocarbures aux combustibles solides de récupération.

Enfin, l’exploitation des « mines urbaines » va s’accroître de façon à répondre à des enjeux envi­ronnementaux et de souveraineté stratégique. Le recyclage des batteries ne fait que commencer et l’hydrométallurgie apportera beaucoup de solutions. Néanmoins, recycler les batteries reste pour l’instant coûteux, car il faut récupérer, isoler puis traiter des ressources métalliques diffuses, incorporées à des objets complexes. C’est pourquoi nous souhaitons que soient fixées des obligations de réincorporation des matières recyclées dans les filières de produc­tion, afin de changer d’échelle et monter rapidement des filières.

À propos d’économie, quels obstacles rencontrez-vous… et comment les levez-vous ?

Nos actionnaires perçoivent bien les enjeux liés au modèle économique et demandent que nos solu­tions soient abordables pour tous, pas seulement pour les pays ou les ménages riches. Le budget « eau » peut ainsi rester en dessous de 1 % du bud­get d’une famille. Nous travaillons donc sur des modèles économiques permettant d’aligner les intérêts de tous pour déconnecter la démographie et la prospérité de la pression sur les ressources. Le code des marchés publics est souvent un frein, mais nous avons par exemple mis en place un « contrat de performance hydrique » à Lille qui vise 10 % de réduction des consommations d’eau. Cet objectif ambitieux sera obtenu par l’éducation à la sobriété, par l’installation d’équipements (par exemple des mousseurs, que nous offrons en partenariat avec La Poste pour la distribution) et par la détection des fuites qui permet de hiérarchiser et de cibler les investissements de renouvellement de réseau.

Notre Conseil d’administration soutient nos ap­proches, et en particulier nos avancées sur le partage de la valeur créée entre nos parties pre­nantes. Nous réinvestissons une grande partie de notre cash-flow. Nous avons généralisé notre pro­gramme Care à tout le groupe, pour instaurer un socle commun de protection sociale aux moments cruciaux de la vie, même dans les pays où rien n’est prévu par la loi. Enfin, la moitié de la rémunération variable de nos 13 000 cadres supérieurs est fondée sur des paramètres extra-financiers.

Le constat de l’urgence écologique est clair et partagé par tous. Il nous faut passer désormais à l’action et accélérer, sans attendre de disposer de toutes les réponses, mais en continuant à innover, à montrer les solutions véritables, duplicables, abor­dables, à rationaliser l’action publique. Il faut une écologie qui rassemble, avec un partage juste et équitable des efforts, et des solutions utiles sur les­quelles il est nécessaire de communiquer. Nos en­treprises doivent en effet apporter la preuve que la transformation écologique est possible pour tous.

Source : La Lettre d’EpE – n° 69 – juillet 2023

Question ouverte – Quels sont le rôle et la réponse des entreprises aux enjeux de santé-environnement ?

Ces dernières années, de nombreux travaux scientifiques ont démontré que l’environnement et la santé sont interdépendants, et que la santé des populations est affectée à la fois par la pollution chimique, la pollution par les ondes (lumineuses, sonores et électromagnétiques), le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

Le 18 janvier 2022, le franchissement d’une nouvelle limite planétaire est confirmé, celle de l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère « puisque la production et les rejets annuels augmentent à un rythme qui dépasse la capacité mondiale d’évaluation et de surveillance » (Persson, 2022). Sont ainsi retrouvés, dans l’ensemble des compartiments environnementaux de la planète, des produits chimiques aux effets parfois délétères. Or, une fois disséminés, ces éléments exigent des efforts et des coûts exorbitants pour être récupérés et traités. Outre la complexité technologique, technique, scientifique et économique d’une telle opération, certains produits chimiques, appelés « polluants éternels », se diffusent et persistent quasiment indéfiniment.

Les principaux leviers d’action semblent donc être de limiter l’introduction d’entités nouvelles dans les milieux naturels et de réduire la nocivité de ceux que l’on retrouve. Mais la santé-environnement est un sujet complexe, entouré de nombreuses incertitudes sur la relation dose-effet et sur le lien de causalité entre une exposition environnementale et son effet sur la santé qui peut arriver des dizaines d’années plus tard ; les enjeux de santé-environnement sont en outre globaux et systémiques. La réponse supposerait ainsi que soit partagée, par un grand nombre d’acteurs, une vision holistique et systémique, de long terme et préventive.

La réponse des pouvoirs publics est souvent curative et sectorielle : l’Union européenne s’est dotée d’une quarantaine de réglementations des produits chimiques, souvent avec retard comme le montrent les cas de l’amiante et des rejets médicamenteux.

L’action volontaire des entreprises peut donc introduire de nouveaux modes d’action : améliorer la transparence, apporter des connaissances et de l’expertise utiles, voire nécessaires, aux pouvoirs publics et aux parties prenantes. Elles peuvent intégrer encore davantage et plus précocement les enjeux de santé-environnement dans leurs opérations, et améliorer les connaissances de leurs employés sur ces sujets. Les acteurs financiers et les assurances peuvent de leur côté inciter les entreprises à intégrer ces enjeux dans leurs stratégies et opérations.

L’évolution des attentes sociétales fait que les entreprises sont de plus en plus invitées, voire interpellées pour agir en ce sens, ce qui est accentué par l’évolution ou les perspectives d’évolutions réglementaires. Elles réalisent que la prise en compte de la santé-environnement peut être source d’innovations et d’opportunités commerciales. Enfin, les efforts déployés au sein même des entreprises (bâtiments, exposition chimique des salariés, réduction des nuisances sonores…) peuvent réduire l’absentéisme, améliorer la productivité et donner une meilleure image sur le marché de l’emploi.

Au-delà de ces approches individuelles, on voit apparaître des approches plus collectives et donc plus préventives, soit parce que la perspective du devoir de vigilance conduit les ensembliers à prendre les devants sur les externalités des produits qu’ils acquièrent pour les intégrer à un produit ou service dont ils ont la responsabilité globale vis-à-vis de leurs clients, soit parce qu’un secteur tout entier trouve les conditions pour s’attaquer collectivement à un enjeu, soit enfin parce que la demande du marché conduit à des approches préventives.

Ainsi, les entreprises peuvent impulser un mouvement vers une meilleure intégration des enjeux de santé-environnement dans leurs opérations et stratégies, mais seulement si cela accompagne et est accompagné d’un changement sociétal plus profond. Certains de ces éléments rejoignent les solutions à mobiliser dans la transition écologique de nos sociétés, notamment certains changements de comportements individuels et collectifs : la santé pourrait ainsi être un levier positif pour la transition écologique.

Ces initiatives mériteraient d’être accélérées face à l’ampleur des enjeux de santé-environnement qui s’ajoutent aux enjeux environnementaux du XXIe siècle. Aussi, au sein des travaux d’EpE, des pistes de réflexions collectives ont été identifiées visant à extraire les sujets santé-environnement du débat d’experts, à intégrer ces enjeux dès les processus de conception/innovation de produits ou services, à accompagner l’usage des produits et services commercialisés, à donner de la valeur à la santé ou aux années de vie en bonne santé préservées ou encore, à court terme, à intégrer l’enjeu santé-environnement à leur transition écologique amorcée. Les travaux se poursuivent dans ces directions.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Marie Marchand-Pilard, Responsable des pôles Santé-Environnement, Juridique et R&I

Source : La Lettre d’EpE – n° 68 – avril 2023

Trois questions à Laurent Favre, Directeur général de Plastic Omnium

Comment gérez-vous la transformation de votre entreprise, dans un secteur parmi les plus affectés par la transition écologique ?

Avec 9,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 40 500 collaborateurs, Plastic Omnium a construit sa croissance sur la substitution du plastique au métal dans les véhicules afin d’en alléger le poids et donc la consommation de carburant. Tout cela dès 1946 ! Aujourd’hui, la nécessaire transition énergétique rebat les cartes de la mobilité chez nous, dans la façon dont nous opérons mais aussi chez nos clients constructeurs qui mettent en avant l’empreinte carbone de leurs véhicules et préparent leurs trajectoires de neutralité carbone avec nous.

Notre stratégie repose sur trois piliers : l’excellence opérationnelle, car l’exigence de qualité et d’efficacité est le fondement de l’entreprise ; l’innovation, car la transition massive de la mobilité vers l’électrique et l’hydrogène requiert d’explorer de nouveaux territoires dans nos 40 centres de Recherche et Développement ; le troisième pilier est notre responsabilité sociale et sociétale, avec une équipe regroupée avec celle des ressources humaines, et dont la mission est d’embarquer tous les collaborateurs sur les questions de sécurité, d’éthique, de diversité et bien sûr de neutralité carbone.

Cette équipe est très proche des opérationnels et des décisions business, y compris au Comité Exécutif : à son initiative, nous ambitionnons d’atteindre la neutralité carbone sur les scopes 1 et 2 dès 2025. Nous réduirons aussi de 30 % les émissions de notre chaîne de valeur d’ici 2030, en particulier en sélectionnant des fournisseurs qui sont engagés dans la transition et en innovant pour une mobilité bas-carbone.

Le Conseil d’Administration est porteur et garant de cette stratégie, et nous y avons créé un Comité de Développement Durable.

Dans cette phase de transition, nous n’excluons aucun métier et fabriquons par exemple des réservoirs pour les gros pick-up américains. Les produits du passé financent le coût de la transition, hydrogène et électrification sont des marchés où nous investissons. Nous sommes aussi vigilants en communication interne afin que tous les collaborateurs se sentent engagés dans la transition.

Vous aurez compris que le climat est notre principal enjeu environnemental. Mais nous avons un réseau de Sustainability Ambassadors, des volontaires qui portent nos messages, font remonter les attentes et les idées de l’organisation et mènent des initiatives comme les gestes de base pour « l’environnement du quotidien ». Par ailleurs, tous les ans se tient le Act For All Day où nous arrêtons nos opérations pour échanger et sensibiliser sur les sujets de développement durable.

Voyez-vous le marché automobile se transformer dès à présent ?

La mobilité est au cœur de la transition énergétique. Demain elle sera plus propre, sûre et connectée. Travailler chez Plastic Omnium c’est être au cœur des enjeux !

Le marché mondial passe d’une croissance constante du nombre de véhicules vendus à une régulation des volumes par l’offre disponible du fait des contraintes de disponibilité de composants et de matières premières. Nombre d’entreprises investissent d’ailleurs dans une intégration amont pour sécuriser leurs sous-produits. Nous-mêmes, nous sourçons beaucoup régionalement pour réduire les risques d’approvisionnement en pièces ou matériaux et réduire l’impact environnemental. Bien entendu, le recyclage est une des solutions à cette nouvelle rareté.

Le plastique est un bon exemple de ces tensions sur l’offre : il a des atouts de recyclabilité. Nos produits se recyclent de mieux en mieux et utilisent de plus en plus de matière recyclée, mais celle-ci est peu disponible.

La question du recyclage nous amène à repenser en amont l’écoconception de nos pièces : on évite les colles, par exemple, et certains composants ne sont plus peints. Nos réservoirs à hydrogène en polypropylène sont entourés de fibres de carbone pour accroître leur résistance. Nous travaillons à leur recyclage avec nos équipes de recherche.

En Europe, le marché est contraint par la réglementation sur les nouveaux véhicules, mais quid du devenir des 250 millions de véhicules actuellement en circulation ? Une faible partie est recyclée actuellement, le reste part dans les pays moins aisés qui en prolongent la durée de vie. Qu’en est-il de leur recyclage ? C’est une vraie question.

Quel avenir voyez-vous à l’hydrogène pour la mobilité ?

Les véhicules électriques à batterie trouvent leurs limites pour les besoins d’autonomie, en particulier pour les véhicules lourds. Dès 2015, nous avons été convaincus que l’hydrogène apporterait une réponse à la transition énergétique dans la mobilité. Nous nous sommes appuyés sur notre savoir-faire dans les réservoirs traditionnels, enrichi d’acquisitions et de partenariats comme notre JV EKPO, qui nous a permis d’étendre notre offre aux piles à combustibles et aux systèmes hydrogène complets. Ceci permettra aux trains, avions, bus ou véhicules utilitaires d’accéder à la mobilité électrique.

La principale difficulté de déploiement de l’hydrogène aujourd’hui est celle de l’infrastructure de distribution qui conduit à prioriser sa commercialisation vers des flottes captives, bus et trains. Une autre question clé est la capacité de nos sociétés à produire de l’hydrogène issu d’énergies renouvelables à un prix compétitif. Il y a là pour nous un axe stratégique majeur.

Source : La Lettre d’EpE – n° 68 – avril 2023

Trois questions à Véronique Bédague, Présidente-directrice générale de Nexity

La transition écologique est-elle un axe fort de la stratégie de Nexity ?

Nexity est originale car notre entreprise est pré­sente sur toute la chaîne de valeur immobilière, depuis l’aménagement de terrains, y compris le réaménagement d’anciennes friches indus­trielles ou urbaines (nous réalisons un quart du village des athlètes des JO de Paris), jusqu’à l’exploitation et la gestion d’immeubles (nous sommes n° 1 français du property management et n° 2 de l’administration de biens après Fon­cia), en passant par la promotion de bureaux et logements (avec 20 000 logements par an, nous sommes le premier promoteur résidentiel en France). Cela nous amène à penser et à gérer ensemble tous les aspects de la transition envi­ronnementale et donc à la placer au cœur de notre stratégie.

Quand j’étais Directrice des Finances de la Ville de Paris, j’ai constaté les réactions des habi­tants contre la politique de réduction du trafic automobile, et celles des jardiniers à qui on a désappris à « faire propre ». J’ai compris à la fois l’urgence d’agir et la nécessité d’accompagner cette transformation.

À mon arrivée au sein de Nexity en tant que  Secrétaire générale, j’ai eu sous ma responsa­bilité la RSE. En devenant la patronne des acti­vités tertiaires, j’ai ensuite été en contact direct avec nos clients pour qui le sujet de la transition environnementale est particulièrement sensible : pour que les bâtiments puissent être faciles à  remettre sur le marché, ils doivent être le plus pos­sible en avance de phase pour répondre aux enjeux  climatiques, énergétiques et environnementaux. Aujourd’hui à la tête de Nexity, je continue à placer ces enjeux au cœur de notre action.

Qu’est-ce qui tire les progrès environne­mentaux de Nexity : le marché, les action­naires, les salariés ?

D’abord, et c’est à la fois dans notre ADN et porté par notre raison d’être « la vie ensemble », nous avons, en tant qu’entreprise responsable et bâtisseur de la ville de demain, une responsa­bilité envers la planète et le monde qui nous entoure. Je suis également convaincue qu’une ville bas carbone, respectueuse de la biodiver­sité, est une ville plus douce, plus désirable, plus créatrice de liens. Et que c’est cette ville-là que nous devons pousser.

Bien sûr, il y a aussi une attente forte de nos clients et partenaires : la rénovation urbaine occupe ainsi une part grandissante dans nos activités, renforcée par notre dialogue avec les collectivités locales qui se tournent de plus en plus vers des opérations de requalification, à l’échelle de quartiers ou de bâtiments. Toutes les équipes s’adaptent et ont développé les savoir-faire nouveaux nécessaires : matériaux écologiques, bâtiments mixtes habitat-bureaux, réhabilitations, transformation de l’usage de cer­tains bâtiments… Le marché suit sur certains points, tire sur d’autres : en Ile-de-France en bureau par exemple, nous ne faisons pratiquement plus que de la réhabilitation ; en ville, les clients parti­culiers n’exigent plus du neuf, mais sont soucieux d’acheter des logements aux dernières normes environnementales.

D’ailleurs, l’anticipation de ces normes en ame­nant de nouvelles solutions est clé pour réduire les coûts de construction : si l’on se contente d’empiler les normes, le surcoût, de l’ordre de 10 %, n’est pas acceptable pour le marché. Grâce à cette anticipation, nous étions prêts dès 2021 avant que la Réglementation environnementale RE2020 (exigence de performance énergétique et carbone pour les bâtiments neufs) ne s’ap­plique (au 1er janvier 2022).

Parce que 85 % des bâtiments actuels seront là en 2050, nous travaillons aussi le sujet de la rénovation énergétique du parc existant. C’est un enjeu majeur. Nous avons déjà conduit 60 réno­vations de copropriétés et proposons d’étudier systématiquement leur financement par la surélévation des immeubles, le plus souvent en bois ; nous avons 300 dossiers à l’étude, et c’est aujourd’hui un gros avantage sur le marché.

Force est de constater que, pour l’instant, le marché financier ne récompense pas vraiment l’ambition RSE. Nous commençons en revanche à trouver des financements et des assurances plus avantageux si nous réalisons nos engagements de performance.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

La réglementation nous oblige à embarquer les différentes problématiques de développement durable et deux grands défis en particulier : la ZAN (zéro artificialisation nette) et la rénova­tion des logements existants. Pour la première fois, la loi Climat et Résilience aborde ainsi la rénovation du stock de logements. Nous avons rapidement écrit à nos clients propriétaires de logements étiquetés DPE F ou G que nous gérons pour les alerter et leur proposer un ac­compagnement complet pour les travaux et les aides financières. Beaucoup de ces logements vont arriver sur le marché avec une décote de 5 à 15 % selon leur étiquette, car les propriétaires de ces passoires ne veulent ou peuvent pas y faire de travaux. Les pouvoirs publics devraient préparer une vraie planification de ces sujets, y compris en mobilisant les financements adé­quats, privés et publics.

La fiscalité est structurante, mais a parfois des effets pervers : par exemple, la suppression de la taxe d’habitation affaiblit le lien entre les col­lectivités locales et les habitants ; de son côté le nouveau dispositif Pinel oblige à faire des logements plus grands alors que la ZAN devrait conduire à une ville plus compacte, voire à des nouvelles manières d’habiter en rupture avec les dernières décennies.

La réglementation pourrait aussi favoriser des innovations telles que des logements sans chauffage, ou des bâtiments mixtes loge­ments-bureaux. Je suis une avocate de la densité désirable, du moment qu’elle est bien construite, agréable à vivre. Et je considère que les entreprises ont leur rôle à jouer pour présenter un futur désirable et notamment dans la construction de nouveaux consensus sociaux sur ce qu’est la ville durable de demain. D’ailleurs, chez Nexity, les jeunes sont particulièrement moteurs de cette transformation. Il y a de quoi rester optimiste.

Source : La Lettre d’EpE n° 67 – janvier 2023

Question ouverte – Le numérique, allié ou ennemi de la transition écologique ?

La transition numérique est en cours et se poursuit de façon toujours aussi rapide et spontanée ; alors que la valeur créée par l’économie numé­rique aurait pesé jusqu’à 15,5 % du PIB mondial de 2019, le nombre d’objets connectés dans le monde pourrait augmenter de plus de 200 % d’ici 2030.

Utilisées à bon escient, les technologies numé­riques peuvent contribuer à la préservation de l’environnement et au bien-être des populations, mais aujourd’hui, elles sont surtout à l’origine d’atteintes considérables sur l’environnement : le numérique pèse 2,5 % dans le bilan carbone français, chiffre en hausse rapide ; 62,5 millions de tonnes de res­sources sont utilisées chaque année pour produire et utiliser des équipements numériques français qui, en fin de vie, sont à l’origine de la production annuelle de 20 millions de tonnes de déchets.

S’ajoute à ces impacts directs l’effet du numérique sur nos modes de vie : en quelques années, cette transition a profondément bouleversé ces der­niers et le fonctionnement de nos sociétés tout en augmentant notre empreinte environnementale.

Or, contenir la hausse de la température mondiale aux alentours de 1,5 °C, limiter voire inverser l’éro­sion de la biodiversité et préserver les ressources naturelles requièrent des acteurs économiques qu’ils réduisent rapidement et profondément toutes les pressions qu’ils exercent sur l’environ­nement, y compris celles de leurs activités numé­riques directes et indirectes.

Le fait que certaines entreprises dédient des plans d’action au numérique responsable témoigne d’une prise de conscience et d’un engagement environnemental transverse : dans certaines entreprises dont le numérique est le cœur d’acti­vité, des engagements de réduction d’impact ambitieux apparaissent ; et même dans les in­dustries fortement émettrices, où les émissions du numérique sont marginales à côté de celles de l’activité de production, les équipes prennent l’initiative de plans de réduction.

L’enjeu nouveau pour les entreprises est donc de réduire cette empreinte tout en poursuivant leur transformation numérique, porteuse de nom­breuses opportunités. Au sein de la Commission Numérique et Environnement d’EpE, près de quarante dirigeants et experts de Directions du Développement Durable et Directions des Sys­tèmes d’Information de grandes entreprises ont analysé les conditions pour accélérer l’adoption d’un numérique à plus faible empreinte (Green IT) et utile à la mise en œuvre de leur transition écologique et celle de la société (IT for Green).

Les pratiques d’entreprises présentées dans la toute récente publication « Le numérique, allié ou ennemi de la transition écologique ? » montrent des résultats encourageants : elles suggèrent que la mise en œuvre de premiers leviers de réduction peut démarrer rapidement, sans attendre que le travail, encore en cours, sur les méthodologies de mesure soit achevé.

En parallèle, les usages du numérique pour accompagner la transition écologique se multi­plient et cette publication en identifie deux princi­paux. D’une part, les capacités plus importantes de collecte, de traitement et de stockage de données offertes par les technologies numériques sont souvent exploitées pour développer des outils d’aide à la décision qui permettent de mesurer et réduire les impacts d’opérations industrielles ou d’intégrer l’environnement dès la conception des projets. D’autre part, les systèmes d’information des entreprises servent à piloter et réduire les impacts environnementaux : la préparation de réponses aux exigences de la Corporate Sustai­nability Reporting Directive (CSRD) à venir serait inenvisageable sans ces capacités massives de recueil et traitement de données.

L’ampleur des transformations à conduire semble cependant faire appel à des évolutions bien plus profondes que les seules réductions permises par les technologies numériques (IT for Green) et certains effets rebonds sont déjà observés : l’adoption massive des technologies numériques facilite la consommation de masse en effaçant les distances. En introduisant des intermédiaires tech­niques entre les personnes et le monde extérieur, ces technologies peuvent affecter et parfois dégra­der notre perception et nos relations avec la nature. La civilisation digitale que nous construisons pour­ra-t-elle être une civilisation environnementale ? La question est ouverte, et les entreprises membres d’EpE y travaillent de plus belle.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Benoît Galaup, Responsable des pôles Biodiversité & Numérique

Source : La Lettre d’EpE n° 67 – janvier 2023

Biodiversité, nature : comment en parler entre entreprises et acteurs financiers ?

La place de la nature dans les réflexions et les actions des entreprises s’est renforcée depuis les accords d’Aichi de 2010 et l’agenda politique international de la biodiversité reconnaît de plus en plus le rôle des acteurs économiques dans les solutions autant que dans les atteintes à la nature.

Les acteurs financiers commencent à vouloir intégrer le sujet dans leurs décisions d’investisse­ment ou de financement, comme le montre l’ini­tiative Task-force for Nature Financial Disclosure (TNFD) lancée en 2021 ou d’autres, mais leurs analyses se heurtent à l’absence d’un indicateur synthétique susceptible de représenter l’impact d’une entreprise ou d’un projet et d’évaluer les solutions imaginables. Les entreprises qui mettent déjà en œuvre des actions de protection ou de restauration de la nature et des services écosystémiques ont pour la même raison beau­coup de mal à en rendre compte à leurs financeurs.

À l’initiative de membres français de la TNFD, le colloque DEFi, Dialogue Entreprises – Finance sur les solutions et actions pour la nature a été organisé le 27 juin 2022 par les associations EpE et Finance for Tomorrow pour explorer les pistes permettant de surmonter ces difficultés ; il a rassemblé près de 200 experts et décideurs issus d’entreprises industrielles et de services, du secteur financier, d’institutions scientifiques, de sociétés de conseil, d’ONG et de la sphère publique, et ouvert de nombreux débats.

Le travail de la TNFD pour développer un cadre de divulgation des impacts, risques et opportu­nités liés à la nature a été reconnu comme indis­pensable pour généraliser la prise en compte de la biodiversité par l’ensemble du monde économique et développer une compréhension partagée de ces enjeux. Ainsi, la TNFD demande aux entreprises de se concentrer sur leur proxi­mité avec des aires protégées, qui pourraient, si la COP15 est un succès, représenter d’ici quelques années 30 % des aires terrestres comme des aires marines. C’est bien entendu une priorité, mais les scientifiques de l’IPBES, comme l’IUCN, appellent aujourd’hui à respecter et favoriser la biodiversité dans toutes les zones d’exploitation agricole et toutes les forêts, pas seulement les aires protégées. Comment intégrer cette dimen­sion aussi ?

Autre difficulté, comment trouver le bon compro­mis entre par exemple l’enjeu du climat et celui de l’artificialisation des sols ? Vaut-il mieux pour l’environnement une forêt monospécifique, une centrale photovoltaïque au sol ou de l’agriculture biologique, et comment les acteurs financiers peuvent-ils arriver sur cette question à la même réponse que les agriculteurs, les scientifiques ou les parties prenantes confrontées à un projet local  ?

Nombre d’acteurs ont par ailleurs exprimé le souhait de disposer de scénarios prospectifs pour mieux orienter leurs actions, à l’instar des trajectoires de réductions d’émissions du GIEC. Mais la nature est complexe à modéliser – c’est d’ailleurs pour cela que l’évaluation des risques liés à la biodiversité est si difficile ; les scéna­rios pertinents paraissent aujourd’hui possibles essentiellement à l’échelle d’un territoire à peu près uniforme. Comment aller au-delà ? Beau­coup de questions encore sans réponse claire sont ainsi apparues, dont une interpellation particulièrement stimulante : qu’est-ce qui vous empêche de faire plus ? La réponse des acteurs présents a été qu’en effet, chacun peut agir sans attendre d’avoir des systèmes d’information complets ; le dialogue concret entreprise-finan­cier est source pour chacun d’une meilleure appréhension du sujet.

Comme il a été dit durant le colloque, c’est « le combat du siècle » et les acteurs doivent s’ins­taller dans la durée dans ce dialogue, et surtout dans un trilogue avec la société civile à tous les niveaux, du local au mondial. C’est en effet un sujet multidimensionnel où toutes les actions peuvent être l’objet de jugements diversifiés voire contra­dictoires : la plupart des décisions économiques ont des conséquences variées, plus ou moins directes, et des externalités positives ou négatives, en fort contraste avec la logique financière qui décrit la réalité en une seule dimension. Comment va dans notre société se construire la représenta­tion de ce qui est bon ou non ?

Il y a là aussi des enjeux business : le monde va-t-il vers des systèmes d’information ouverts, permettant des coopérations sur les expériences des uns et des autres ? Ou au contraire vers des systèmes d’information privés gérés dans la confidentialité ?

Les membres d’EpE continuent à travailler avec d’autres entreprises et ONG sur ces questions de fond, en particu­lier à travers la création récente d’un groupe de consultation français de la TNFD qui poursuivra les échanges.

Claire Tutenuit, Déléguée générale
Benoît Galaup, Responsable du pôle Biodiversité & Numérique

Source : La Lettre d’EpE n° 66 – octobre 2022

Trois questions à Benoit Bazin, Directeur général de Saint-Gobain

Saint-Gobain est-il d’abord un groupe industriel à forte empreinte environnementale ou une entreprise de solutions pour la transition écologique ?

Nous sommes le leader mondial de la construction durable, qui représente environ 90 % du chiffre d’affaires de près de 50 milliards d’euros du groupe. Notre raison d’être est “making the world a better home”.

Nous avons entrepris une revue de toutes nos familles de produits qui a montré que 72 %, et bientôt 75 %, de notre chiffre d’affaires a un impact positif pour la durabilité, comprise comme l’environne­ment, la santé et le bien-être de nos clients auxquels nous fournissons des solutions. Les émissions évitées par nos clients grâce aux solutions vendues en un an représentent plus de 1,3 milliard de teqCO2 pendant leur durée de vie. D’une certaine manière, on peut dire que Saint-Gobain est déjà net-positif pour le climat.

Ceci étant dit, l’empreinte de Saint-Gobain est signifi­cative, avec un scope 3 amont trois fois supérieur à nos émissions de scope 1 et 2 qui représentent 10 MteqCO2. Ceci vient notamment des émissions de nos activités de négoce de matériaux du bâtiment qui ont des achats importants, mais également du transport de nos matières premières et de nos produits.

Nous avons pris dès 2019 l’engagement d’être neutre en carbone en 2050 avec des objectifs ambitieux à 2030 couvrant les trois scopes, validés par la SBTi. Cette exigence est un moteur pour notre in­novation industrielle. Nous avons en mai dernier réalisé, pendant quelques jours, notre première production zéro carbone de verre plat, avec 100 % de verre recyclé et 100 % d’énergie verte. Nous venons de lancer en France une offre commerciale « verre bas carbone », avec 40 % de réduction de CO2. Nous allons démarrer en 2023 en Norvège une première usine zéro carbone (en scope 1 et 2) pour la production de plaques de plâtre – une usine 100 % électrique, alimentée à 100 % en électricité renouvelable. Nous allons étendre cela sur une autre usine au Québec. Nous faisons des mortiers sans ciment, nous développons des solutions de décarbonation du béton pour les cimentiers… Un des plus grands défis techniques reste de faire fonctionner – sans gaz naturel et dans la durée – une usine de verre plat selon le procédé float.

Un autre virage culturel est de considérer le bâtiment en fin de vie comme un gisement de matériaux : la REP qui démarre en 2023 en France va accélérer la réutilisation des composants et matériaux. La laine de verre que nous produisons contient déjà plus de 55 % de verre recyclé.

Enfin, la conception des bâtiments évolue : le Conseil d’Administration a intégré une architecte, qui est notamment experte en biomimétisme. Nous évoluons vers une construction plus légère, le poids du bâti pourrait diminuer de moitié dans quelques années, avec les mêmes performances et à partir de produits plus facilement recyclables.

Avez-vous adapté la gouvernance du groupe pour réussir cette transition vers la neutralité carbone ?

Oui, de multiples façons, en commençant par former le Conseil d’Administration à ces enjeux, d’abord celui du climat, puis celui de la biodiversité.

Les marchés de la construction étant très culturels et locaux, nous avons en 2019 profondément réorganisé le groupe pour le gérer désormais par pays, chacun ayant, avec ses équipes et ses clients locaux, sa propre feuille de route de décarbonation 2020-2030.

Nous utilisons pour nos décisions un prix interne du carbone depuis 2016, aujourd’hui à 75 €/t pour nos investissements industriels, et 150 € pour la R&D qui mettra des projets sur le marché dans plusieurs années.

Nous avons un comité RSE composé de 10 managers ; il a, parmi d’autres activités, créé un fonds interne du carbone qui recense les initiatives locales et les crédite pour les tonnes évitées avec le prix interne du carbone. Lancé en Scandinavie, il a suscité mille initiatives en un an et est en passe d’être étendu. Dans les rémunérations des cadres, le climat représente 20 % de la part de long terme, et 10 % des bonus annuels attribués.

Le plus important est que nous commençons à percevoir et anticiper les conséquences de la transition sur nos modèles d’affaires : le Capex dédié à la décarbonation est aujourd’hui de 100 M€ par an, par exemple pour électrifier nos usines. Nos outils industriels durant environ 20 ans, pour ne plus émettre en 2050, nos usines de vitrage construites à partir de 2030 doivent être sans émissions, avec donc une transformation très rapide de nos procédés.

La décarbonation du verre plat aura à court terme un impact sur les prix, car les Capex augmenteront un peu, mais surtout parce que l’énergie verte et l’électricité verte sont encore peu disponibles, donc chères. L’atout des émissions évitées doit justifier ce surcoût : en cinq jours, un float de 120 à 150 millions d’euros peut produire 100 000 fenêtres « zéro carbone ». Parce que nos outils industriels servent la décarbonation du parc bâti et les économies d’énergie, ils justifient un prix et un coût de fonctionnement accrus.

Le grand chantier de la rénovation des bâtiments, justement, apparaît urgent et incontournable si la France veut tenir ses engagements de réduction d’émissions. Comment le voyez-vous s’engager ?

Le grand défi est le logement, qui est un sujet systémique et représente près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Il y a une attente des propriétaires sur le sujet, mais ils sont parfois rebutés par la complexité des opérations plus encore que par le coût.

Celui-ci est bien sûr un frein, car les aides à la rénovation globale restent modestes : 3 500 € en moyenne de prime rénovation (MaPrimeRénov’) pour un chantier de 30 à 40 000 €. Pourtant cela permet d’économiser au moins 70 % sur la facture énergétique. Mieux aider cette rénovation permettrait d’économiser à l’avenir les 30 milliards de chèques énergie de 2022. L’expérience allemande d’extension-rénovation des immeubles pourrait aussi inspirer un moyen de faciliter le financement tout en réduisant l’étalement urbain. Il faut enfin que les bâtiments publics soient exemplaires en termes de rénovation énergétique.

Aujourd’hui les audits énergétiques sont assez fiables pour mobiliser davantage les acteurs financiers. Atteindre les objectifs « Fit for 55 » suppose d’au moins doubler le rythme de décarbonation des bâtiments ; cela créerait 100 000 emplois. L’enjeu est de rendre ce sujet et ces emplois attractifs dans l’opinion : pourrait-on imaginer un « Top Chef de la rénovation » ?

Source : La Lettre d’EpE n° 66 – octobre 2022