Quels sont les enjeux principaux de Veolia ?

Nous répondons à trois enjeux majeurs : la décarbo­nation, l’économie et la régénération des ressources, et la dépollution, à travers trois activités à peu près équivalentes en taille : la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Ces trois activités, dont le chiffre d’affaires total s’élève à 43 milliards d’euros, sont toutes en forte croissance depuis 10 ans.

Le cœur de notre métier est de proposer à nos clients des solutions pour la transformation écolo­gique dans ces trois domaines. Même s’il y a encore beaucoup à innover, nous sommes déjà en mesure de déployer des solutions efficaces, réplicables et abordables. Cette démarche, exprimée dans notre raison d’être, a été fondamentale pour réussir rapi­dement le rapprochement entre Veolia et Suez : le succès de cette opération s’explique notamment par la culture commune sur ces trois enjeux entre les équipes de Veolia et celles issues de Suez.

Quand notre groupe croît, son empreinte environne­mentale consolidée avec celle de ses clients décroît : nous sommes donc « décarbonants », plus que seu­lement décarbonés. De la même façon, notre métier est d’aider à réduire les prélèvements d’eau dans les nappes phréatiques et rivières pour alimenter les villes et les industries, et de gérer cette ressource avec un haut niveau de performance : ainsi, sur les 3 dernières années, nous avons fait économiser 320 millions m3 d’eau à nos clients. Nous émettons des gaz à effet de serre à travers les activités essen­tielles que nous menons comme le traitement des déchets, mais nous assumons le choix de transfor­mer les centrales à charbon que nous gérons en Europe centrale et orientale, afin de les alimenter avec des énergies moins carbonées ou renouve­lables, plutôt que de les céder : nos investissements nous ont permis de réduire notre intensité carbone de 30 % en 4 ans, et les solutions que nous déployons ont fait éviter à nos clients l’émission de 14 millions de tonnes de CO2 en 2022. Nous mesurons cette transformation écologique par la définition et le suivi de trajectoires de progrès avec nos clients, et par notre système de mesure de la « performance plurielle » qui agrège 18 indicateurs, dont 14 extra-financiers (innovation, impact local dans les terri­toires, performance sociale…).

Loin de les exclure par principe, nous travaillons également avec les plus gros pollueurs ou émet­teurs de CO2, afin de réduire drastiquement leur impact environnemental. Cela peut heurter les positions radicales de certaines personnes ou les réflexes de facilité d’autres acteurs qui trouvent plus simple de ne pas travailler avec eux.

Comment voyez-vous l’évolution vers une économie circulaire ?

Nous le voyons dans les secteurs de l’eau et des déchets. La sécheresse de 2022 a accéléré la prise de conscience de tous sur l’eau et la menace de pé­nurie hydrique est désormais réelle dans de nom­breuses régions du monde. Cette situation exige d’abord une réflexion collective et structurelle sur le modèle agricole pour le rendre plus économe en eau – l’agriculture étant le premier consommateur d’eau -, et la mobilisation de toutes les solutions pos­sibles. Nous pouvons encore réduire les pertes dans les réseaux publics d’eau potable, déjà limitées à 20 % en France, et investir pour diminuer les consommations d’eau, en particulier celles prove­nant des industriels. La réutilisation des eaux usées vient ensuite : Los Angeles vise 100 % de réutilisation en 2030. Nous travaillons sur le concept de Net Zéro Eau, pour parvenir à une empreinte eau nulle, grâce à la baisse des prélèvements, l’optimisation des usages et l’augmentation du recyclage des eaux usées. Nous nous trouvons au début de cette dé­marche, mais il existe déjà de splendides réalisa­tions : un de nos clients, qui exploite une mine de lithium en Australie, a réussi à doubler sa production sans accroître ses prélèvements d’eau.

Nous faisons de même pour certains déchets : Solvay a réduit de 60 % les émissions de gaz à effet de serre de son usine de Dombasle, en pas­sant des hydrocarbures aux combustibles solides de récupération.

Enfin, l’exploitation des « mines urbaines » va s’accroître de façon à répondre à des enjeux envi­ronnementaux et de souveraineté stratégique. Le recyclage des batteries ne fait que commencer et l’hydrométallurgie apportera beaucoup de solutions. Néanmoins, recycler les batteries reste pour l’instant coûteux, car il faut récupérer, isoler puis traiter des ressources métalliques diffuses, incorporées à des objets complexes. C’est pourquoi nous souhaitons que soient fixées des obligations de réincorporation des matières recyclées dans les filières de produc­tion, afin de changer d’échelle et monter rapidement des filières.

À propos d’économie, quels obstacles rencontrez-vous… et comment les levez-vous ?

Nos actionnaires perçoivent bien les enjeux liés au modèle économique et demandent que nos solu­tions soient abordables pour tous, pas seulement pour les pays ou les ménages riches. Le budget « eau » peut ainsi rester en dessous de 1 % du bud­get d’une famille. Nous travaillons donc sur des modèles économiques permettant d’aligner les intérêts de tous pour déconnecter la démographie et la prospérité de la pression sur les ressources. Le code des marchés publics est souvent un frein, mais nous avons par exemple mis en place un « contrat de performance hydrique » à Lille qui vise 10 % de réduction des consommations d’eau. Cet objectif ambitieux sera obtenu par l’éducation à la sobriété, par l’installation d’équipements (par exemple des mousseurs, que nous offrons en partenariat avec La Poste pour la distribution) et par la détection des fuites qui permet de hiérarchiser et de cibler les investissements de renouvellement de réseau.

Notre Conseil d’administration soutient nos ap­proches, et en particulier nos avancées sur le partage de la valeur créée entre nos parties pre­nantes. Nous réinvestissons une grande partie de notre cash-flow. Nous avons généralisé notre pro­gramme Care à tout le groupe, pour instaurer un socle commun de protection sociale aux moments cruciaux de la vie, même dans les pays où rien n’est prévu par la loi. Enfin, la moitié de la rémunération variable de nos 13 000 cadres supérieurs est fondée sur des paramètres extra-financiers.

Le constat de l’urgence écologique est clair et partagé par tous. Il nous faut passer désormais à l’action et accélérer, sans attendre de disposer de toutes les réponses, mais en continuant à innover, à montrer les solutions véritables, duplicables, abor­dables, à rationaliser l’action publique. Il faut une écologie qui rassemble, avec un partage juste et équitable des efforts, et des solutions utiles sur les­quelles il est nécessaire de communiquer. Nos en­treprises doivent en effet apporter la preuve que la transformation écologique est possible pour tous.

Source : La Lettre d’EpE – n° 69 – juillet 2023