* Patrick Koller a transmis la direction générale à Martin Fischer depuis le 1er mars 2025.
Quelle est la stratégie de Forvia pour sa décarbonation ?
Forvia, avec 150 000 collaborateurs et 27 B€ de chiffre d’affaires, se transforme depuis 2015 en s’appuyant sur deux convictions :
- le changement climatique est une urgence : le flux des émissions doit baisser rapidement ;
- la mobilité est une aspiration fondamentale et doit être attractive, abordable et pérenne.
Nos produits équipent une voiture sur deux produite dans le monde, y compris en Chine, avec essentiellement des intérieurs, sièges et planches de bord, de l’éclairage et de l’électronique. Notre stratégie, validée par SBTi, est construite sur leur allègement et sur la décarbonation de leur production ; nous nous sommes engagés en 2019 à réduire de 45 % nos émissions d’ici 2030, en incluant la quote-part des émissions des voitures qui utilisent nos produits. Nous sommes en avance sur cette trajectoire, avec déjà plus de 50 % d’énergies renouvelables dans nos usines en 2024. En termes d’allègement, nous sommes sur la voie d’un vrai découplage avec un poids total des produits vendus qui devrait se réduire de 17 % en même temps que le chiffre d’affaires devrait augmenter de 20 à 30 %.
Nous avons aussi, au-delà de la décarbonation, des actions concrètes pour la biodiversité sur nos sites, et notre fondation aide Plastic Odyssey à accélérer et améliorer le recyclage des plastiques en produits utiles sur place, tout autour du monde.
Quelle est votre vision pour la transition du secteur automobile ?
L’âge moyen des clients en Europe est de 55 ans, alors qu’il est de 30 ans en Chine – les voitures sont donc conçues bien différemment.
Le marché européen s’est construit jusqu’à arriver à un « excès de contenu » des voitures ; l’ajout d’options, de nombreux équipements électroniques – que les ingénieurs européens maîtrisent moins bien que la mécanique – a conduit à des redondances dans les équipements et surtout à un poids excessif, donc un coût excessif.
Aujourd’hui, le besoin du marché est pour des citadines électriques de 300 km d’autonomie, coûtant moins de 15 K€ ; si les constructeurs européens n’arrivent pas à faire cela, en simplifiant et en allégeant leurs véhicules, le marché va être envahi de voitures chinoises, car elles répondent à ce cahier des charges. Vingt pays européens n’ont pas de constructeur national, et sont enclins à choisir les véhicules les plus compétitifs. Il faut revenir au « juste nécessaire ».
Nous sommes aussi soucieux du contenu européen des voitures vendues, et de la compétitivité des fournisseurs de rang n-2 et n-3. Les achats représentent 75 % du chiffre d’affaires et notre compétitivité en dépend. Or, dans un marché automobile sans croissance, la dynamique d’un écosystème de fournisseurs se fait par le développement de nouveaux marchés. Ainsi notre filiale Materi’Act qui travaille sur nos matériaux recyclés ou biosourcés s’étend aussi hors du secteur automobile.
Quelles transformations de modèles d’affaires préconisez-vous ?
Nous croyons à « Use less, better, longer », à l’innovation technologique et au blue effect, accumulation de petits changements dont la somme est significative.
Longer inclut l’allongement de la durée de vie des voitures. Aujourd’hui les prêts automobiles sont faits sur 3-4 ans en Europe ; les véhicules électriques ont une durée de vie suffisante pour doubler ce temps, ce qui les rendrait beaucoup plus accessibles, surtout si l’on laisse un mois par an sans remboursement. Cela veut dire aussi qu’une voiture de dix ans aura une valeur résiduelle, comme un bâtiment – ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Less recouvre le « juste nécessaire », et nous revoyons les fonctions de chaque pièce dans cet esprit, puis leur design et leur composition.
Better fait référence à nos modes de production : nous avons considérablement changé les matériaux – acier décarboné, plastiques recyclés, biomatériaux, à moindre empreinte environnementale ; ce sont pour beaucoup des matériaux irréguliers, et nous mettons en œuvre des logiciels d’IA pour garantir leurs performances malgré ces irrégularités, et pour valoriser des « défauts élégants ». Il faut beaucoup de technologie pour cela.
Nous avons standardisé et amélioré dans le même esprit nombre de conceptions de produits : par exemple, les structures des sièges auto que nous fabriquons sont très standardisées et intègrent différentes fonctions en un bloc, allégeant l’ensemble et réduisant le nombre de pièces nécessaires autour. Ils peuvent aisément être désassemblés pour pouvoir upgrader certaines fonctions ou changer la couleur.
Nous utilisons l’impression 3D pour faire un allègement des composants que nous ne pourrions pas obtenir par injection.
Nous croyons aussi à l’amélioration de moteurs thermiques au moins pour faire des « range extenders » qui sont une bonne solution pour les véhicules électriques, plus légère qu’une double motorisation. Peu de constructeurs européens y travaillent.
Tous nos collaborateurs sont mobilisés dans cette transformation, le blue effect les inspire car ils savent qu’il n’y a pas de progrès négligeable et cela les stimule. Forvia est une entreprise d’ingénieurs, intéressés à développer sous contrainte, d’autant qu’il s’agit de suivre des convictions profondes et l’intérêt collectif, ce qui est important pour recruter les meilleurs talents.
Quant aux consommateurs, ils sont intéressés à réduire les émissions, du moment que la qualité perçue ne soit pas détériorée ; ils acceptent des défauts qui ne nuisent pas à la qualité perçue (couleurs, formes différentes). Nous travaillons actuellement sur l’intérieur d’une petite voiture qui intégrerait le respect le plus élevé possible de l’environnement en vue du CES 2026.
Source : Lettre d’EpE n° 76 – avril 2025